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Paul SERENI
Communauté, propriété,
biens communs

Colloque annuel du séminaire de philosophie politique « Penser la transformation ».


Vendredi 25 avril 2014.

Université de Montpellier 3, site Saint Charles.

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Résumé. La question d’ensemble étant celle des conditions de possibilité d’une alternative à l’organisation socio-économique actuelle, on voudrait examiner ici si une forme de communauté peut être une des conditions de cette alternative.

On peut trouver une entrée dans le complexe de questions posé par l’usage de la notion de communauté à travers le problème des biens communs. Les biens communs, si l’on accepte de restreindre l’extension de la notion aux ressources naturelles communes, posent deux questions difficiles à séparer : d’un côté, celle de la possibilité de distinguer un bien commun ou une chose commune d’une chose nulle, dite aussi à tout venant, et des biens dits publics ; de l’autre côté, la question de savoir s’il est possible et souhaitable de faire de ces biens le point de départ ou le centre d’une organisation socio-économique efficace.

On voudrait d’abord montrer qu’il s’agit, non de deux problèmes distincts, mais bien d’un même problème composé de deux parties, reliées, précisément, par une proposition intermédiaire : de la manière dont on définit les communs, et donc aussi de la manière dont on donne un sens à l’opposition du privé et du commun, se déduisent la possibilité ou l’impossibilité d’une propriété collective efficiente. Plus largement, on voudrait montrer que cela permet, d’un côté, de clarifier la notion de propriété commune et, de l’autre, d’examiner l’importance du rôle des institutions dans la détermination d’une chose comme commune.

(Note sur la présentation du texte. Afin d’alléger le système de renvois, nous avons recouru au procédé qui consiste à renvoyer aux textes, anciens comme modernes, en précisant l’auteur, la date de publication et le numéro de page entre parenthèses, en fin phrase, dans le texte courant. La date de publication mentionnée est celle de l’édition utilisée pour la rédaction de la contribution; on trouvera la référence complète dans la bibliographie placée à la fin.)

Introduction

Il convient, je crois, de préciser sans attendre que « biens communs » employé au pluriel (quelle que soit la manière dont on en définit ensuite le contenu) ne signifie pas la même chose que le même mot employé au singulier.

(Sans vouloir ouvrir un autre questionnement, on peut en profiter pour remarquer que l’une des difficultés liées au commun et à la communauté est un champ lexico-sémantique souvent peu technique mais large et diffus, dont la diversité ne facilite pas l’approche et la position des problèmes, mais facilite en revanche les glissements conceptuels et les ambiguïtés.) Si en effet le bien commun renvoie à l’idée d’une valeur partagée, et notamment à la notion de chose publique, le pluriel signifie des choses, au sens juridique de biens appropriables légalement, et au sens économique de ressources naturelles ou produites, qui n’ont pas ou ne peuvent pas avoir de propriétaire particulier et ne sont précisément pas, en ce sens, appropriables. On peut écarter des biens communs les épaves et les trésors qui relèvent de régimes juridiques différents, puisque, dans ces cas, il s’agit de choses dont on ne parvient plus à retrouver et à identifier le propriétaire d’origine ou ses descendants. Les biens communs posent ainsi directement la question de savoir ce que peuvent vouloir dire : « posséder en commun » ou « avoir une propriété commune » (réserves faites, pour l’instant, des distinctions à opérer entre propriété et possession). Ce n’est cependant qu’un des deux aspects du problème.

On a en effet souvent soutenu que les régimes de propriété commune, où les agents ont accès à une ressource collective, ne pouvaient pas, par nature, permettre de satisfaire les besoins de tous les agents concernés, en mettant les choses au mieux. Les biens communs posent donc en réalité deux questions : s’il s’agit de clarifier l’opposition entre propriété personnelle ou privée et propriété commune, il s’agit aussi d’examiner la possibilité d’une propriété commune économiquement durable et efficace. En s’en tenant d’abord à une formulation relativement large, on pourrait dire que le problème de l’usage des biens communs est le problème de la possibilité de biens reconnus comme collectifs par les membres d’un groupe, restreint ou large, dont l’usage serait économiquement rationnel.

On voudrait d’abord montrer ici qu’il y a là, non pas deux questions ou deux problèmes distincts, mais deux parties d’une même question ou d’un même problème, reliées, précisément, par une proposition intermédiaire qu’il faut, je crois, formuler tout de suite : c’est justement de la définition que l’on donne des choses communes que se déduit la possibilité ou l’impossibilité d’une gestion ou d’une production collective économiquement efficace. Il semble donc bien y avoir là une seule question (complexe en ce sens qu’elle est composée de deux parties). C’est la raison pour laquelle on a restreint l’extension du concept de biens communs aux ressources naturelles communes, et écarté les biens communs produits directement par l’homme, comme le sont les communs de la connaissance, dont Wikipedia, les logiciels libres et les « creative commons » sont des exemples récents célèbres. Ce n’est naturellement pas que ces derniers ne partagent pas de nombreux points communs importants avec la définition des ressources naturelles communes ; mais il a semblé que, pour ce qui regardait la seconde partie du problème traité, ils renvoyaient justement à une problématique différente : la gestion, au sens large, des communs de la connaissance ne renvoie pas aux mêmes questions et aux mêmes difficultés que celles qui touchent directement la gestion et l’exploitation des ressources communes ici en question, ne serait-ce que parce que la question de savoir si les ressources sont renouvelables ne se posent pas. A partir de là, les biens communs, au sens retreint, posent deux types de questions, particulières au moins en apparence, et dont la seconde semble, en outre, relever de l’économie et de la recherche simplement empirique : en quel sens un bien peut-il être commun ? Peut-on concevoir des régimes de propriété commune qui soient à la fois efficaces et rationnels (en un sens de ces mots qui reste naturellement à préciser)?

I Biens communs, chose commune, biens publics

Il n’est peut-être pas inutile de préciser – sans en chercher une définition stricte – la notion de bien qui est ici en question. Dans le vocabulaire habituel de l’économie politique,  un bien est une chose matérielle qui procure une jouissance. Mais on serait amené par là à distinguer un bien et un service, ce qui est à la fois réducteur et peu pertinent. En fait, si l’on consulte les dictionnaires et plus particulièrement Le Robert de la langue française, on peut y lire qu’on appelle ainsi, en un sens du substantif, des « biens tangibles, susceptibles d’appropriation ». A ce titre, l’article renvoie, entre autres, aux entrées suivantes : « chose », « domaine », « fruit », « patrimoine », « possession », « produit », « propriété », « récolte », « richesse » (Alain Rey, 2001). De ce point de vue, tout le domaine des ressources, naturelles ou produites, acquises par le travail, par la transmission ou par d’autres modes d’acquisition entre dans la notion de bien. On peut éliminer la monnaie, qui est certainement un bien désirable, mais qui a un statut particulier d’intermédiaire entre biens échangeables et peut servir de signe ou de symbole ; reste comme définition, suffisante, je crois, pour le propos, celle selon laquelle un bien est, économiquement une ressource susceptible de combler un besoin et, juridiquement, une propriété ou une possession au moins possible.

A partir de là, la difficulté porte beaucoup moins sur « biens » que sur « communs ». Lorsque nous employons les mots : « biens communs », nous faisons la plupart du temps référence, implicitement ou explicitement, que nous en ayons une représentation claire ou non, à une certaine notion de propriété commune, et nous l’opposons spontanément  à la propriété privée. Mais ni le lien entre bien commun et propriété, ni la bipartition propriété privée/propriété commune ne sont univoques ou simples. Il faut ainsi, je crois, noter tout de suite que, lorsque nous parlons de biens communs et de propriété commune, nous employons une expression dont nous sentons qu’elle est ambigüe et peut-être équivoque. 

Veut-on dire, notamment, que la chose n’est à personne ou bien qu’elle est à tous? Si l’on sent que « n’être à personne » n’a pas la même signification que « être à tous », il est cependant plus difficile de dire où passe exactement la différence. Il suffit de poser, par exemple, que par la première expression, on veut indiquer que la chose n’a pas de propriétaire particulier pour brouiller la différence entre les deux. Veut-on dire que la chose n’est actuellement à personne mais qu’elle peut être appropriée ou bien qu’elle doit garder en permanence son statut ? Veut-on dire que la chose appartient par droit égal à tous les membres d’un groupe ou bien qu’aucune personne n’a de droit à faire valoir sur la chose ? Veut-on dire que chacun a un droit égal sur la totalité d’une chose, comme c’est le cas dans les régimes de communauté universelle entre époux (où chacun a le même droit sur la totalité des biens du ménage) ou dans les régimes d’indivision (où la totalité d’un héritage appartient par droit égal à chacun des héritiers, sans répartition) ?

On peut faire l’hypothèse que ces difficultés ne sont ni extérieures à la question, ni accidentelles mais qu’elles sont liées aux usages et à l’histoire du concept. Pour trouver l’origine de ces ambiguïtés et donc aussi le sens des possibles distinctions conceptuelles à opérer l’intérieur de l’idée générale de propriété commune, on peut donc – sans chercher à remonter trop loin – se tourner vers le passé et s’arrêter sur le traité du jurisconsulte Grotius, Mare liberum (De la liberté des mers), publié en 1609.

Le texte s’inscrit d’abord dans une conjoncture particulière qu’il faut restituer brièvement pour comprendre sa portée. En 1604, Grotius, docteur en droit, est embauché comme jurisconsulte et avocat par la Chambre de Commerce d’Amsterdam pour défendre les droits de la Compagnie hollandaise des Indes orientales (c’est-à-dire celle qui commerce avec l’Asie du Sud Est et plus particulièrement avec l’archipel indonésien). En fait le traité De la liberté des mers est directement extrait du premier ouvrage de droit important de Grotius, De jure praedae commentarius (1604) ; celui-ci ne fut pas publié du vivant de l’auteur et ne sera découvert qu’au dix-neuvième siècle. L’ensemble de l’ouvrage est né de l’examen d’un cas d’espèce : la prise par les Hollandais en 1603, dans le détroit de Malaga, d’un navire portugais, le Catharina, et de sa cargaison. Il ne s’agissait pas simplement d’une rivalité commerciale qui aurait dégénéré en prise de butin. Comme le signale Tully, les Portugais revendiquaient le monopole du commerce avec cette partie de l’Asie du Sud Est, et par là aussi la possession exclusive des voies maritimes qui y menaient, ce que contestaient les compagnies hollandaises, qui, elles, ne revendiquaient pas ce monopole (Tully, 1992, p. 107). En 1607, les mêmes compagnies se voient à nouveau menacées à peu près de la même façon, par le Roi d’Espagne, et doivent de nouveau faire valoir leur droit. Grotius publie alors, en 1609, le seul chapitre XII de son commentaire sur le droit de prise, comme un livre séparé, Mare liberum, qui porte spécifiquement sur le libre usage des mers (ou libre accès aux mers) et sur l’appropriation des produits de celles-ci.

Ces remarques, conjoncturelles, peuvent sembler extérieures. Elles ne sont peut-être pas cependant tout à fait inutiles. Comme l’a fait remarquer Michel Villey, il s’agit chaque fois d’une « affaire de droit international qui touche les intérêts du grand commerce maritime » (Villey, 2013, p. 534) ; Grotius n’est pas qu’universitaire, et ses conceptions ne sont pas seulement des clarifications conceptuelles : elles sont le fait d’un homme qui s’est mêlé activement à la vie publique et qui défendait une cause (Villey, 2013, p.528).Mais, comme le fait également remarquer Villey, on ne peut réduire son rôle à celui de plaideur défendant des intérêts privés. En même temps, en s’emparant de ces cas, Grotius « élargit le débat, faisant preuve de son goût pour les vues générales et de son aptitude aux systèmes » (Villey, 2013, p. 534). On peut donc dire qu’il fait à la fois œuvre de jurisconsulte, habitué à donner une opinion d’expert sur des cas précis, d’avocat qui défend la cause d’un client, et de théoricien du droit, en l’occurrence du droit de propriété, de sorte qu’on ne peut sous-estimer le poids des définitions juridiques des propriétés commune et privée qu’il va être amené à fournir à cette occasion.

La thèse d’ensemble du Mare liberum est que nul ne peut avoir un monopole sur les mers, et donc que la Hollande est en droit de commercer avec d’autres pays et de prélever une part des produits de la mer.

L’argument qui fonde cette conclusion, qui est ce qui nous intéresse ici, peut se décomposer ainsi.

1)    Le terme de propriété (dominium) signifie « une sorte particulière de possession (proprium) telle qu’elle exclut de son exercice tout autre personne » (Grotius, 1987, p. 22).

2)    Ce qu’on appelle « « usage »  (usus) est également un droit particulier (idem, p.23) qui, comme la propriété, est exercé à titre privé.

3)    La propriété en commun définit simplement une situation où chaque propriétaire a un droit sur sa part propre.

4)    La propriété, dans tous les cas, suppose la possession effective ou sa possibilité.

5)    Les mers ne peuvent à l’évidence faire l’objet d’une telle prise de possession.

6)    Elles doivent donc demeurer un espace ouvert à l’usage commun de tous. En ce sens, les mers sont à tous les hommes en commun et n’appartiennent à personne en particulier (communia omnium, propria nullus).

7)    En un certain sens, on pourrait dire que les mers sont un bien commun et une propriété commune. Cependant, pour éviter les ambiguïtés signalées de la notion de propriété commune, au lieu de dire : « les mers sont la propriété commune de tous », il vaut mieux dire : « les mers ne sauraient appartenir à qui que ce soit en particulier et peuvent être utilisées – mais non possédées – par tous, chacun prélevant une part des produits de la mer à titre privé ».

Grotius écrit ainsi :

« (…) toute chose qui a été originalement créée par la nature telle que, quand bien même elle ne servirait qu’à une seule personne, elle puisse être utilisée en commun par toutes les autres, devrait, aujourd’hui et à jamais, conserver le statut premier que lui a conféré la nature à l’origine. » (Grotius, 1987, p. 27)

La mer est et doit donc rester chose commune (res communis). On peut noter que c’est ici la nature qui a disposé la mer ainsi, et non un établissement humain.

Tully n’a pas tort de souligner qu’en poursuivant son objectif de légitimation d’une pratique de pêche, Grotius a relativement simplifié le concept de propriété (et donc aussi celui de propriété commune). Il ressort en effet de la discussion que la propriété « est à présent réduite à la propriété privée », elle-même entendue « au sens d’un droit exclusif qui suppose la possession effective » (Tully, 1992, p. 109). Une chose commune qui ne peut-être possédée se distingue cependant d’une chose nulle (res nullius) qui, elle, n’est pas inappropriable. Pour clarifier la distinction entre res communis et res nullius, on peut s’appuyer sur un texte, certes ultérieur, de Pufendorf.

On sait en détail, par son traducteur en français, Jean Barbeyrac, dans la « Préface du traducteur » qui précède sa traduction, publiée, d’après les sources consultées, en 1724, que Pufendorf avait lu et médité les écrits de Grotius. Si donc le Droit de la nature et des gens est assez largement postérieur au traité sur la liberté des mers, puisqu’il date de 1672, on peut l’utiliser dans la mesure où sur les points en question ici, il continue et précise le propos de Grotius. Pufendorf précise ainsi :

« (…) on entend par choses communes, au sens négatif, celles à l’égard desquelles il n’est point intervenu d’acte humain, par lequel on ait déclaré que désormais elles appartiennent en particulier à telle ou telle personne, en sorte qu’aucune autre n’aurait rien à y prétendre. De là vient que ces sortes de choses sont censées n’être à personne, dans un sens négatif plutôt que privatif ; c’est-à-dire qu’elles n’ont été assignées en propre à qui que ce soit, et non qu’elles puissent l’être jamais. On dit encore qu’elles sont à tout venant. » (Pufendorf, IV, IV, 2, cité ici in Tully, 1992, p. 115)

Ainsi, la mer est chose commune au sens où personne ne peut s’en réclamer le propriétaire (personne s’entendant au sens physique et aussi au sens moral) ; en revanche les poissons qui pour l’instant n’ont pas été pêchés n’ont pas de propriétaire, mais ils peuvent en avoir un. Etre une chose commune signifie que chacun peut avoir libre accès aux ressources dans la mesure où les mers ne peuvent être, à proprement parler, la propriété de personne. La mer est res communis. Mais le poisson entre dans la catégorie de res nullius.

On pourrait dire, il est vrai, que les liens d’interdépendance entre une espèce et son milieu rendent difficile la distinction entre l’élément comme res communis et les exemplaires de l’espèce comme res nullius (Dardot, 2010, p.4). Mais Grotius veut dire par là que l’élément lui-même n’est pas appropriable – au sens d’une propriété privative – au contraire de ce qui se trouve dans l’élément. Il est également exact de dire qu’une des prémisses implicites de l’argument de Grotius est celle de l’abondance puisqu’il ne semble pas que la question de la part de harengs que chaque compagnie peut prélever se pose. Mais (en-dehors de la question de méthode de savoir si l’on peut lire un texte de 1609 avec des préoccupations écologiques postérieures) ce type de remarques tombe en fait à côté de la question traitée par Grotius : un groupe peut-il revendiquer un monopole sur une chose qu’à l’évidence il ne peut posséder effectivement ? Si l’objection n’est pas décisive, on peut en revanche de nouveau souligner  que c’est bien la nature qui donne le statut de chose commune à la mer : il semble donc qu’il y ait des choses qui soient, par nature, établies comme inappropriables par des particuliers et non pas que les hommes décident par convention d’établir des choses comme biens communs.

Le point, non seulement dans la réponse, mais déjà dans la position de la question, est dans la définition de la propriété : un propriétaire est un titulaire unique qui peut prendre effectivement possession d’une chose matérielle, meuble ou immeuble. La définition de la propriété fait qu’il ne peut y avoir à proprement parler une propriété en commun. Il y a  là un déplacement subtil en apparence mais important : si une chose est commune au sens où elle est inappropriable, c’est qu’elle est sans propriétaire unique, parce que nul ne peut ne prendre effectivement possession. Commun signifie donc qu’une chose est sans maître et le demeure.

En un sens, une chose commune n’est pas une chose nulle ou simplement négativement commune, parce qu’une chose nulle est à tout venant et peut précisément être approprié (que ce soit par occupation ou par un autre mode d’acquisition). Mais, en un autre sens, cette position du commun peut être dite négative, au sens où l’on parle de définition négative. La res communis est seulement une chose qui ne peut pas avoir de maître, de sorte que chacun peut s’emparer de ses productions ou de ses éléments mais non pas posséder la substance ou le milieu lui-même. Il n’y a donc au total que deux possibilités : ou bien la propriété est la possibilité de prise unique sur une chose, ou bien, si ce ne peut être le cas, la chose est commune (même s’il est possible que personne ne s’en serve). Ainsi, une fois posé que ce qui est commun est ce qu’on ne peut s’approprier, il semble que l’on ait tout dit sur les biens communs.

Si l’on suit de nouveau la mise au point de Tully, sur la question de la propriété, Pufendorf, dans le Droit de la nature et des gens déjà cité plus haut, « poursuit et confirme le travail de réduction terminologique de la propriété à la possession privée, telle que l’avait définie Grotius » et, ce faisant, il « identifie dominium et proprietas », considérées maintenant comme synonymes (Tully, 1992, p.111).  Si cela est correct, on peut s’appuyer sur la définition qu’il donne du droit de propriété pour clarifier la notion. Pufendorf définit ainsi la propriété :

« Pour la propriété ou le domaine, c’est un droit en vertu duquel le fond ou la substance d’une chose appartient à quelqu’un de telle sorte qu’elle n’appartient à aucun autre, du moins entièrement ou de la même manière. » (Pufendorf, cité ici in Tully, 1992, p. 111)

Comme l’a fait remarquer Tully, cette définition en apparence simple et courante implique de refuser de dire qu’une chose puisse appartenir  de la même manière et en totalité à plus d’une personne ; or refuser de dire cela « revient à nier que la possession en commun puisse être une des formes possibles de la propriété » (Tully, 1992, p.112).

Bien sûr, un objet peut être possédé à plusieurs dans un même temps mais sous un rapport de droit différent, le droit sur la chose n’étant chaque fois ni de même nature ni de même degré. Par exemple, sur une même terre, l’Etat, le propriétaire et le tenancier ont chacun un droit (ou, pour moderniser l’exemple : sur un même commerce, on trouve l’Etat, le propriétaire et le gérant). Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’une propriété commune ; il s’agit seulement d’un même objet divisé en différents droits. Dans le même sens, on peut avoir une propriété à plusieurs, mais cela signifie seulement que la chose n’est à personne et que chacun a droit à sa part propre. De nouveau, la propriété est la propriété privée.

Si l’analyse qui précède est correcte en substance, on peut aussi voir ici l’énoncé d’une difficulté de donner un sens à la fois plus précis et plus positif à certaines « choses sans maître », à partir du moment où l’on prend l’habitude d’entendre par « propriété » la libre disposition d’un bien par un titulaire unique. On peut avoir quelque raison de penser que cette difficulté et cette manière d’envisager la propriété ont pour une part assez large déterminé le développement des conceptions modernes et contemporaines du concept de propriété. Comme l’a résumé Villey, Grotius eut des disciples, des adversaires et des commentateurs en Allemagne, dont Pufendorf, mais son travail a également imprégné la culture juridique française : la plupart des « philosophes » mais aussi des juristes importants, comme Pothier ou Portalis, avaient ses ouvrages dans leur bibliothèque (Villey, 2013, p. 528).  On peut lire un constat semblable, formulé de manière plus large, de la part de Tully :

« Toute l’Europe du dix-huitième siècle recueillera des écrits, largement diffusés, de Grotius et Pufendorf cette idée selon laquelle la propriété est ipso facto la propriété privée. » (Tully, 1992, p.112)

On peut donc avoir quelques raisons de penser que, quelle que soit la manière dont la mémoire de leur élaboration s’est conservée, ces définitions ont ensuite pesé lourd sur la façon de définir les biens communs et plus particulièrement sur la difficulté à le faire en donnant un contenu positif à l’idée de propriété commune.

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Si l’argument du droit naturel permet de clarifier jusqu’à un certain point la différence entre être à personne et être à tous, ce n’est peut-être pas seulement là ce que je veux dire quand je parle des biens communs. Je peux aussi vouloir entendre par là que j’ai un droit, que je reconnais aussi aux autres, à une même chose, à une même partie d’une chose ou à un même ensemble de choses. En ce sens, viser ou revendiquer les biens communs est dire que nous serions copossesseurs de choses qui seraient précisément nos communs. Dès lors, une façon d’y voir plus clair dans l’opposition entre propriétés privée et commune, donc entre biens privés et biens communs, peut être de s’appuyer sur la notion de bien public. La question peut se formuler ainsi : un bien commun est-il assimilable à un bien public et si oui, à quelle espèce de bien public peut-il renvoyer ?

La notion de public et celle de bien public pouvant donner lieu à des équivoques, il n’est peut-être pas tout à fait inutile de rappeler brièvement ce qu’en règle générale, la théorie économique entend par là (Samuelson, 1954). On définit les biens collectifs purs, tels que l’éclairage public ou la défense nationale comme des biens ou des services qui ont deux caractéristiques:

« 1/. Ils ne peuvent faire l’objet d’une appropriation individuelle, il est impossible d’exclure un consommateur par suite d’une indivisibilité du bien (on parle encore d’indivisibilité d’usage ou d’un principe de non exclusion) ; 2/. Leur consommation par un agent n’empêche pas un autre agent d’en bénéficier (principe de non-rivalité).

Les biens collectifs peuvent être consommés par un nombre illimité d’individus sans que la qualité des biens soit dégradée par l’augmentation du nombre d’individus qui en disposent (…). Samuelson considère que la fonction essentielle de l’Etat (…) consiste à produire des biens collectifs. L’existence des consommations collectives montre que le libre fonctionnement d’une économie de marché ne suffit pas à assurer une allocation optimale des ressources. » (Teulon, 2009, p. 283)

L’important, ici, est que les deux caractéristiques de non-exclusion ou non-exclusivité et de non-rivalité (termes préférables à d’autres) ne sont pas séparables de l’idée d’une défaillance des transactions marchandes. Comme le souligne Frédéric Teulon dans le texte cité ci-dessus, la théorie des biens publics ne consiste pas seulement à définir ce type de biens; elle a également pour but de soutenir qu’il faut assurer une production hors-marché de ces biens et que c’est là la mission de la puissance publique. Il y a donc bien deux propositions principales difficiles à séparer : il existe des biens publics; leur nature est telle que l’Etat doit en assurer la production. On peut insister sur ce point, qui pourra justement faire difficulté lorsqu’on cherchera une  qualification plus précise des ressources et des choses communes. Comme le font remarquer Philippe Golub et Jean-Pierre Maréchal, ce qui fait la particularité essentielle de ces biens est que :

« (…) étant non-rivaux et non-exclusifs, les biens publics ne peuvent pas être produits par les mécanismes marchands traditionnels. C’est cette défaillance du marché à fournir des biens (et des services) pourtant utiles à tous qui rend indispensable l’intervention de l’Etat. Ce dernier est en effet, via l’impôt, le seul agent économique en mesure de contraindre les citoyens à financer la production des biens en question. » (P. Golub et J.-P. Maréchal, 2006, p. 68)

Public a donc deux sens : le bien est à la disposition de tous; il est produit ou entretenu par la puissance publique. On retrouve ainsi les deux propositions qui articulent la catégorie de bien public, du moins quant aux biens publics purs.

Dans la mesure où les biens en question ne peuvent pas être produits par les règles habituelles du marché, on peut dire qu’en un sens la définition est implicitement négative, comme le fait remarquer Christian Laval :

« Quel est son défaut, quelle est sa déficience ? C’est que l’on ne peut individualiser suffisamment ses bénéficiaires, c’est qu’il bénéficie à un ensemble non divisible d’individus. Lorsque le bien (…) peut être divisé et faire l’objet d’une consommation individuelle sans effets externes, on a alors affaire à un bien qui peut et qui doit être produit sur un marché concurrentiel. » (Laval, 2011, p.3)

On retrouve pour une part ce mouvement, déjà vu en partie chez Grotius, qui consiste à déterminer négativement ce qui est commun par opposition à ce qui est ou peut être privé.

Plus précisément, comme le soulignent également Golub et Maréchal, on rencontre en pratique un grand nombre de biens publics qui ne sont pas purs, c’est-à-dire qu’ils ne remplissent qu’une des deux conditions précitées. Ce sont, soit des biens « pour lesquels l’exclusion est possible mais qui ne sont pas rivaux (autoroute ou parc naturel non encombrés…)», soit des biens « qui sont rivaux mais pour lesquels aucune exclusion n’est envisageable (champignons cueillis dans une forêt domaniale) » (Golub et Maréchal, 2006, p. 68).  Bien que dans les deux cas, il s’agisse de biens publics impurs, et bien qu’on puisse parler dans les deux cas de bien mixtes puisqu’ils sont un mélange, l’usage est de parler, dans le premier cas, « de biens mixtes (ou de biens de club) et, dans le second cas, de biens communs » (Golub et Maréchal, 2006, p.68). Si l’on accepte cette classification, les choses communes qui sont en question ici sont à proprement parler des biens communs parce qu’ils sont des biens publics impurs qui remplissent la condition de non-exclusion mais pas celle de non-rivalité. Un bien commun serait donc une espèce de bien public, qu’on pourrait aussi appeler bien public incomplet.

La question qui reste ouverte est de savoir si seule la puissance publique doit administrer ces biens, comme c’est le cas d’un parc naturel, s’ils peuvent relever d’une gestion collective différente, s’ils peuvent faire l’objet d’une direction privée ou bien encore s’ils peuvent être l’objet d’une gestion mixte. Dans le cas de biens non-rivaux mais exclusifs, il semble que des personnes particulières ou des organisations privées soient aptes à les prendre en charge. Par exemple, la projection d’un film au cinéma est un bien public mixte, au sens vu plus haut, puisqu’on peut réserver l’entrée aux seuls titulaires d’un billet. La conséquence est que des entreprises privées peuvent assurer la gestion de salles de cinéma. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un bien commun, il est fréquent, mais peut-être pas obligatoire, que la puissance publique prenne en charge tout ou partie de la direction, comme c’est le cas des parcs naturels. La réponse à cette question est cependant subordonnée à celle de savoir s’il peut y avoir une gestion efficace de biens dits communs, question qu’il faut examiner maintenant.

II L’argument de « la tragédie des communs »

Pour la formuler d’abord de manière assez large, la question est de savoir si l’on peut soutenir la thèse d’un possible usage rationnel et efficace des biens communs, alors qu’on a souvent objecté à cette thèse, non sans arguments, que la gestion des communs par les agents qui en bénéficiaient, était, à court ou moyen terme, collectivement irrationnel. (On a employé ici les mots « gérer » et « gestion » qui peuvent paraître, soit beaucoup trop vagues, soit inappropriés. Ils semblent cependant pouvoir convenir, si on leur donne le sens large mais relativement précis qu’ils possèdent étymologiquement : gérer est prendre en charge, se charger de quelque chose, accomplir, faire et, par extension, administrer et diriger. C’est en ces sens qu’on les emploie ici.)

L’argument de « la tragédie des communs », directement tiré de l’article de Garrett Hardin, The tragedy of the commons, permet d’entrer dans la question (Hardin, 1968). Il n’est peut-être pas cependant inutile de s’arrêter d’abord brièvement sur la traduction de « commons» par « communs » ou par « biens communs ». Comme le signale Barbara  Trinquier dans sa traduction de l’article d’Eva Hemmungs Wirtén, sur lequel nous nous appuyons plus bas:

« Le terme anglais commons recouvre deux acceptions en français : celle des « communaux » au sens historique de terres partagées dans une commune, et celle des « biens communs » ou des « communs », termes utilisés dans le contexte actuel de l’économie numérique. » (Hemmungs Wirtén, 2013, p.2.)

L’ambiguïté des mots fait à mon avis partie intégrante du problème traité, ce qui a poussé précisément à hésiter à rendre commons par biens communs en français. La question de la traduction est en l’espèce l’indice d’une difficulté dans la clarification d’une notion.

On peut cependant faire deux remarques. D’une part, on utilise biens communs, communs ou commons non seulement à propos de l’économie du numérique mais aussi à propos de l’économie des ressources naturelles; d’autre part, l’identification des communs, au premier sens, à des biens communaux paraît une réduction. Les deux questions importantes sont précisément de savoir s’il convient de parler de biens communs à propos des ressources naturelles et, si oui,  si ces biens communs naturels peuvent se ramener à des terres ou à des ressources communales. On pourra donc retenir la traduction de commons par biens communs.

L’article de Hardin (qui fut un biologiste et un écologue) s’intitule « tragédie » en référence explicite à la définition de la tragédie qu’avait donnée Whitehead dans La science et le monde moderne en 1948: l’essence de la tragédie est la solennité du déroulement sans pitié des choses. Il cherche donc à penser un mécanisme évitable mais nécessaire dès qu’on accepte ses conditions initiales et qui fait le malheur de tous ceux qui y participent.

On peut hésiter, quant à la présentation de l’argument de la tragédie des communs, entre deux types d’exposition : l’une consiste à restituer le détail de l’article de Hardin et ses préoccupations propres, l’autre consiste à saisir d’emblée l’argument dans son maximum de généralité. On a choisi ici une voie moyenne, qu’on pourra évidemment trouver insuffisante pour cette raison, qui a consisté à restituer l’argument dans son environnement textuel immédiat, sans entrer dans le détail de son co-texte et de son contexte. Si une telle lecture peut non sans raison sembler insatisfaisante, elle a paru néanmoins la plus commode dans la mesure où, à la fois, elle évite de lire le texte à travers le filtre que lui ont apposé ses différentes réappropriations successives, et où elle permet de situer les raisons pour lesquelles il a connu un retentissement considérable dans les débats sur la propriété.

Le texte de Hardin n’est pas écrit en style analytique. Comme le signale Fabien Locher, « son article déploie un fil argumentatif assez déstructuré, fait de retours en arrière, de digressions, de pistes ouvertes et vite refermées » (Locher, 2013, p. 8). Néanmoins le fil directeur en est clair. Hardin prend le cas d’un pâturage communal en libre accès : aucun fermier n’a intérêt à épuiser le sol ou à sur-peupler ou à surexploiter le pâturage ; chacun a intérêt à ajouter une bête à son troupeau. A moyen ou long terme, le pâturage en libre accès sera surpeuplé ou la ressource, l’herbage, épuisée. Comme le résume Nicolas Eber : «si chaque fermier suit son intérêt personnel, le pâturage deviendra vite surpeuplé, au grand regret de tous les fermiers » (Eber, 2006, p. 21). Nul n’a bien entendu intérêt à ce que cela arrive. Chacun cependant agit par opportunisme, c’est-à-dire par un intérêt personnel à court terme, doublé de ruse, puisque chacun espère que les autres ne feront pas comme lui, de sorte que c’est pourtant ce qui arrive nécessairement.

A travers ce cas, l’article cherchait à poser et à penser les problèmes de la surpopulation, continentale et planétaire, et de la pollution. Le cas du pâturage se présente donc d’abord, au choix, comme un cas exemplaire ou comme une métonymie. Il représente toutes les situations, nombreuses, où une chose commune (c’est-à-dire, ici, en libre accès sans coût de production supplémentaire pour ceux qui y accèdent) est détruite par l’intérêt strictement personnel. Cet intérêt est certainement contraire à l’intérêt à long terme de tous ceux qui sont concernés mais il est néanmoins nécessairement suivi. Pour présenter les choses d’un point de vue plus économique, on peut reprendre le résumé qu’en a donné l’économiste Elinor Ostrom :

« Chaque éleveur retire un bénéfice direct de ses animaux et supporte des coûts différés de la détérioration du bien commun causée par le surpâturage de son troupeau et des autres animaux. Chaque éleveur est incité à ajouter de plus en plus d’animaux car, s’il perçoit la totalité du bénéfice direct de ses propres bêtes, il ne supporte qu’une part des coûts engendrés par le surpâturage. » (Ostrom, 2010, p. 14)

Ce n’est cependant pas le seul sens de l’argument de la tragédie des communs dans l’intention de son auteur. Comme le souligne Locher, on a souvent tendance à réduire le sens de l’argument à un seul niveau, celui de la ruine d’une ressource, par poursuite, ouverte ou cachée, de l’intérêt égoïste, alors qu’il en comporte deux, ce qui est perceptible dès qu’on se rappelle que l’article porte sur le problème de la surpopulation.

« La « tragédie des communs » fonctionne à deux niveaux. À un premier niveau, elle met en scène un agrégat d’acteurs individuels, intéressés à l’exploitation d’une ressource finie. C’est en ce sens qu’elle a surtout été comprise, saluée ou critiquée dans les débats sur l’environnement. Le bétail, dans cette perspective, constitue la médiation technique par laquelle la ressource est (sur)exploitée.

51Mais un second niveau de raisonnement est sous-jacent et pourtant constamment actif. (…) Ce que Hardin veut dénoncer, c’est aussi la dynamique délétère qui conduit les individus à se reproduire sans frein, jusqu’à ruiner leurs moyens de subsistance. Pour nourrir leur progéniture, les éleveurs doivent exploiter toujours plus la pâture ; parce que celle-ci est commune, rien n’entrave leur tendance à enfanter – avant l’effondrement final. Dans la « tragédie des communs », les têtes de bétail ne représentent pas seulement les animaux que chaque éleveur place sur le pâturage. Elles symbolisent aussi les enfants de ces mêmes éleveurs, qui en se multipliant menacent de ruiner la ressource. » (Locher, 2013, p.9)

 

En ce sens, comme le fait remarquer Ostrom, Hardin « a utilisé l’exemple des prairies communales comme une métaphore générale du problème de la surpopulation » (Ostrom, 2010, p. 15). L’argument ne se présente donc pas seulement comme un cas exemplaire et une métonymie mais il a aussi une dimension métaphorique, qui permet d’autant plus aisément de déplacer la situation des pâturages communaux à bien d’autres situations dans lesquelles il faut s’attendre à une dégradation de l’environnement dès le moment où plusieurs individus utilisent en commun une ressource limitée.

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La question qui reste finalement ouverte est de savoir si l’argument présuppose une anthropologie particulière. Quelles sont les raisons qui poussent chaque éleveur à aller contre son intérêt personnel à long terme ? Une comparaison pourra peut-être mettre en relief la spécificité de l’argument. Hardin ne se voulait probablement pas original en choisissant son cas exemplaire: comme l’a fait remarquer Joachim Radkau, la figure du pâturage dévasté est récurrente chez les agronomes des dix-huitième et dix-neuvième siècles en lutte contre la propriété collective (Radkau, 2008, p.71-73). Cependant, plus spécifiquement, en 1833, l’économiste William Foster Lloyd se sert du même cas et d’un argument en apparence semblable pour prendre position dans l’une des controverses les plus vives, celle des enclosures, c’est-à-dire le fait, en Angleterre, de poser des clôtures sur ce qui était auparavant des champs ouverts, connus sous le nom de terrains communaux ou commons.

La thèse de Lloyd est qu’il faut exploiter les terres sous le régime de la propriété privée, parce que ce régime crée une situation où chaque exploitant est en mesure de percevoir les conséquences pour lui-même de sa manière d’exploiter la terre, ce qui n’est pas le cas en régime de communauté. L’argument qui mène à cette conclusion est le suivant : chaque fois qu’un éleveur ajoute une bête à son troupeau sur un bien commun déjà saturé, il perçoit la satisfaction qu’il en tire; mais ce qu’il ne voit pas est que la taille et le poids de ses bêtes diminue, parce que cette diminution est d’abord peu sensible. Chaque fois qu’un autre éleveur fait de même, par imitation ou par opportunisme, il ne le voit pas non plus. D’ajout en ajout mais finalement rapidement, les bêtes dépérissent visiblement et la ressource commune du pâturage est ruinée. Dans cet argument, les éleveurs sont inconscients au sens où ils ne perçoivent pas ou perçoivent très mal les effets de leurs actes individuels et cela crée une sorte d’inconscience collective qui empêche les agents d’ajuster leur conduite à leurs intérêts réels à long terme (Lloyd, 1833).

L’argument de la tragédie des communs diffère de celui que l’on vient de résumer en ceci qu’il mobilise un modèle de comportement repris à la théorie des jeux. Si l’on suit la mise au point de Locher, il ne faut pas oublier que : 1) dès avant la rédaction de l’article, Hardin avait insisté sur la pertinence du cadre interprétatif de cette théorie, selon lequel des agents rationnels sont égoïstement à la poursuite de la maximisation de leur utilité ou de leur intérêt propre ; 2) il avait  souligné également le caractère tout à fait conscient des stratégies individuelles (Locher, 2013, p. 9). L’éleveur du modèle de Hardin n’est ni aveugle, ni entraîné par une pulsion irrépressible : il connaît son intérêt à court terme et sait qu’il vit parmi d’autres agents qui sont également décidés à faire valoir leurs intérêts propres ou qui sont prêts à le faire s’ils en ont l’opportunité.

Plus largement, si la question est de savoir si l’accès d’un nombre indéfini de personnes à une ressource va ou non engendrer la satisfaction de tous, Hardin, comme le résume Eva Hemmungs Wirtén, « décrit une situation où personne n’a le pouvoir de refuser à un autre le droit d’utilisation et où l’intérêt personnel prévaut toujours » (Hemmungs Wirtén, 2013, p. 6).

Le point important est que les agents directement engagés ne peuvent rationnellement diriger les communs. Si les communs ne peuvent se gérer eux-mêmes, il faut faire quelque chose. Hardin propose une série de solutions, parmi lesquelles : en distribuer l’accès par une loterie ou selon le principe : « premier arrivé, premier servi », les transformer en propriété privée, faire intervenir une autorité extérieure contraignante. On peut remarquer que les deux dernières options ne sont d’ailleurs pas exclusives et peuvent se combiner sous la forme d’un Etat dont une des missions serait d’administrer la part de chacun et de faire respecter au besoin par contrainte les limites respectives des propriétés privées.

Hardin ne tranche cependant pas entre ces solutions, qu’il présente toutes comme discutables, i.e. comme méritant d’être débattues. Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de souligner ce point : à l’origine, la création de droits de propriété exclusifs n’est qu’une des solutions possibles à la tragédie des communs ; Hardin ne s’oppose certainement pas à l’intervention de la puissance publique, qui transformerait les biens communs en bien public.

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Bien que Hardin ne semble pas s’être appuyé sur les analyses de la micro-économie, dont il ne cite pas les apports, il s’appuie, comme signalé, sur une anthropologie particulière qui considère les individus comme des agents rationnels et égoïstes. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, pris dans sa généralité, l’argument puisse être reçu comme un« jeu», c’est-à-dire une « situation d’interaction stratégique entre plusieurs individus (les joueurs) » qui sont « libres de leurs stratégies (leurs choix)» (Eber, 2006, p.5). De même, dans la mesure où la plupart des « jeux » d’abord hypothétiquement envisagés ont donné lieu à des expérimentations qui recréent une situation  dans laquelle on tente de reproduire un comportement économique, naturellement dans les limites d’un environnement contrôlé et dans des conditions nécessairement artificielles, l’argument de la tragédie des communs a également donné lieu à des expérimentations, qui sont une variante du « jeu du bien public », le « jeu de la ressource commune ».

Dans un jeu du bien public, on examine si les individus sont prêts à financer ou à entretenir un bien collectif ou bien s’ils vont éviter de le faire en espérant que les autres ne feront pas comme eux. En l’espèce, la question est de savoir si le bien public ne va pas favoriser la stratégie du free rider ou passager clandestin, c’est-à-dire une situation dans laquelle  « les individus tentent de profiter du bien collectif en évitant, autant que possible, de participer à son financement, tout en espérant que les autres acteurs accepteront de le faire » (Eber, 2006, p. 19). Par différence, dans un « jeu de la ressource commune », les agents doivent simplement puiser dans une ressource à laquelle ils ont également accès, de sorte qu’ils peuvent épuiser la ressource ou décider de ne pas le faire.

Dans la pratique, les choses sont naturellement plus complexes. Dans la situation expérimentale,  on met en effet entre parenthèses une condition: l’existence et la conservation de la ressource commune supposent précisément dans de nombreux cas une activité des agents, de sorte qu’il s’agit assez rarement de simplement puiser dans un pot commun. On ne peut donc sans doute pas pousser très loin la distinction entre jeu du bien public et jeu de la ressource commune : dès qu’on franchit les limites, reconnues comme telles, de l’économie expérimentale, les choses se présentent comme mélangées. Par exemple, si lorsque je coupe du bois dans une forêt publique, je ne m’occupe ni du reboisement, ni de la manière dont je coupe, je suis à la fois quelqu’un qui surexploite la ressource et quelqu’un qui se comporte comme un passager clandestin.

Cependant, le principal intérêt de cette variante du jeu du bien public est qu’elle modélise la situation décrite par Hardin : la tendance des individus à surexploiter à des fins personnelles les ressources collectives au détriment de la collectivité. Autrement dit, on peut poser le problème ainsi :

« Alors que l’optimum social implique de ne pas puiser dans la ressource, chaque joueur a intérêt unilatéralement à en exploiter la plus grande part possible (en espérant que les autres joueurs ne se comporteront pas comme lui).» (Eber, 2006, p.21-22)

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Naturellement, Hardin n’a pas été le premier à faire remarquer  que lorsque des choses sont communes, leur gestion aboutit à une situation déraisonnable: sur ce point, on pourrait faire remonter l’argument de la tragédie des biens communs à la remarque d’Aristote dans le Livre II des Politiques :

« Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des soins les moins attentifs. L’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui lui est commun. » (Aristote, Politiques, Livre II, chapitre III)

L’utilisation contemporaine de l’argument s’inscrit cependant dans un contexte qui mérite une attention particulière. Il ressort, je crois, clairement de ce qui précède qu’on peut se servir de l’argument de la tragédie des communs pour montrer l’inefficacité, au mieux, des communautés et la supériorité de la propriété privée sur tout autre mode de gestion. Comme le fait remarquer Locher, si Hardin ne s’appuie pas sur les analyses microéconomiques de l’économie néo-classique, sa propre analyse est « sous-tendue par une anthropologie qui puise aux mêmes sources que l’homo economicus néo-classique », c’est-à-dire la représentation d’un être individuel égoïste et rationnel (Locher, 2013, p.10). En ce sens, on peut se servir de l’argument pour proposer l’institution et la consolidation de la propriété privée comme la solution à la dégradation des biens communs.

Les dégradations, dans cette perspective, viennent d’un manque d’extension du droit de propriété : comme, en échappant à la propriété privée, les biens communs échappent à l’échange marchand entre propriétaires sous forme de monnaie, leur usage est gratuit et sans limite, ce qui précisément cause leur dégradation. La citation suivante d’un des participants au débat, partisan de l’extension du droit de propriété, peut, je crois, suffire à donner une idée des enjeux :

  « Tant l’analyse économique des ressources de propriété commune que le traitement par Hardin de la tragédie des biens communs suggèrent que le seul moyen d’éviter la tragédie des communs aux ressources naturelles et à la biodiversité est de mettre un terme au système de la propriété commune en instaurant un droit de propriété privée. » (Smith, 1981, p. 467)

En ce sens, le problème avait, vingt ans avant la publication de l’article de Hardin, déjà été posé en détail  par von Mises:

« Lorsqu'une terre n'est la propriété de personne bien que le formalisme juridique puisse la qualifier de propriété publique, elle est utilisée sans aucun égard aux inconvénients entraînés. Ceux à qui il est possible de s'approprier les fruits — bois et gibier des forêts, poissons des étendues aquatiques, et gisements minéraux du sous-sol — ne se soucient pas des effets ultérieurs de leur mode d'exploitation. Pour eux l'érosion du sol, la diminution des réserves de ressources restreintes, et autres dégradations des possibilités futures d'utilisation, sont des coûts externes, dont ils ne tiennent pas compte dans leur comparaison des apports et du produit. Ils coupent les arbres sans s'occuper de nouveaux plants ni de reboisement. En chassant ou en pêchant, ils n'hésitent pas à employer des procédés qui empêchent le repeuplement des terrains de chasse ou de pêche. Dans les premiers temps de la civilisation, où il y avait encore abondance de terres d'une qualité non inférieure à celles des parcelles utilisées, les gens ne trouvaient rien à redire à ces méthodes de prédation. Lorsque les effets en apparaissaient sous la forme d'une baisse des revenus nets, le laboureur abandonnait sa ferme et allait ailleurs. C'est seulement lorsqu'une contrée devint plus densément occupée, et qu'il n'y eut plus de terres de première qualité vacantes susceptibles d'être appropriées, que les gens commencèrent à considérer les méthodes de prédation comme un gaspillage. C'est alors que l'on consolida l'institution de la propriété privée des terres.» (Mises, 1985 :702)

Même prise ainsi, isolément, cette citation amène à penser que la consolidation de la propriété privée est la solution optimale au problème des communs, du moins au problème envisagé de cette façon : d’une part, là où il n’y a pas de propriété personnelle, il n’y a bien souvent en réalité pas de propriété du tout ; d’autre part, la consolidation de la propriété privée est pressentie comme la solution à la tragédie des communs. Quoiqu’on pense de cette solution, on y retrouve le mouvement par lequel la propriété est ipso facto propriété privée, ainsi que la conception selon laquelle celle-ci se définit comme  la libre disposition d’un bien par un titulaire unique.

A partir de là, en exploitant assez librement la situation exemplaire décrite par Hardin, on pourrait dire que, après-tout, il se peut que tous ne décident pas de surexploiter la ressource ; il se peut que la surexploitation soit seulement la pratique dominante ; il se peut également que seuls certains soient opportunistes, tandis que les autres se modèrent. Dans tous les cas, cependant, le résultat est inférieur au niveau optimal d’usage, en entendant par là l’état le plus favorable d’une chose, le meilleur possible en fonction des conditions données. Le résultat est contraire au bénéfice collectif qu’on aurait pu attendre d’agents rationnels et les besoins ne sont pas satisfaits ou ne peuvent plus du tout l’être. Autrement dit, en mettant les choses au mieux, un régime de communauté ne peut être efficient, et la solution est plutôt à chercher dans un régime de propriété privée.

 Il n’est peut-être pas superflu de chercher à préciser ce que l’on peut entendre par « efficience »: l’emploi du mot efficience en français est en effet discuté, au motif que, calque de l’anglais efficiency, il pourrait aussi bien être traduit par « efficacité », qui existe déjà dans la langue. Ainsi, dans l’édition datée de 2001 du Robert, dictionnaire de la langue française, l’emploi du mot au sens économique tiré de l’anglais est « considéré comme abusif: on dira efficacité » (Alain Rey, 2001, p.1894). Même page, à l’article « efficacité », on peut lire qu’au sens 2, l’efficacité est « la capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’effort, de dépense ». La remarque concernant « efficience » se comprend donc. Cependant, dans le Dictionnaire culturel de la langue française, également dirigé par Rey et paru en 2005, la remarque précitée concernant l’emploi jugé abusif d’efficience ne figure plus, alors que les définitions d’efficacité et d’efficience restent identiques: il semble donc que l’usage s’en soit imposé. C’est une raison de fait d’employer efficience.

Mais il semble que, au-delà de ce constat d’usage, la distinction peut garder une sens dans la mesure où, dans «efficience», il y a aussi l’idée que l’emploi excessif d’une ressource diminue la satisfaction des besoins parce qu’il existe plusieurs besoins à satisfaire et que les moyens employés, toujours limités et relativement rares, ont des usages mutuellement exclusifs. Lorsque l’économiste emploie « efficience », il vise ainsi la capacité d’atteindre les objectifs fixés en usant chaque fois seulement des ressources et des moyens nécessaires et en épargnant ceux qui ne le sont pas. On peut donc distinguer l’efficacité comme capacité d’atteindre les objectifs, même en épargnant l’effort, et l’efficience (qui est le plus souvent ce que l’économiste entend par efficacité lorsqu’il lui arrive d’employer le mot). On peut définir l’efficience, comme le résume Jacques Généreux, par « l’adaptation et l’économie des moyens employés pour atteindre un objectif donné » (Généreux, 2001, p. 106). Selon une variante, l’efficience est le rapport entre les résultats obtenus et les ressources, au sens large, qui ont été utilisées pour les atteindre.

On peut de nouveau souligner la présence implicite, dans ces définitions apparemment simples, de trois idées, qui justifient qu’on préfère finalement « efficience » à « efficacité » : 1) nous avons plusieurs besoins prioritaires à satisfaire ; 2) les ressources qui nous servent de moyens pour ce faire sont toujours rares, i.e. n’existent qu’en quantité limitée ; 3) elles ont des usages mutuellement exclusifs: une ressource utilisée ne peut pas être simultanément affectée à un autre usage ; l’affectation de toutes les ressources disponibles à un seul but les rend nécessairement indisponibles pour tout autre but qui serait jugé également prioritaire ou même simplement utile à atteindre.

Il est assez clair que, dans le cas exemplaire du pâturage, l’accès à la ressource d’un nombre indéfini d’agents est à peu près complètement contraire à l’efficience. Bien que, comme signalé, Hardin ne soit pas du tout hostile à l’intervention de l’Etat, donc à la puissance publique, l’argument indique fortement que c’est le régime de communauté qui, de lui-même, explique que des individus jugés rationnels produisent des résultats collectifs qui ne le sont pas du tout.

A ce niveau, le point qu’on peut mettre en relief est que, si des agents peuvent gérer rationnellement et efficacement leur propriété personnelle, nettement délimitée et protégée, ils ne sauraient, par eux-mêmes, à la fois maintenir un bien commun et agir de façon socialement efficiente. C’est pourquoi on peut tirer assez aisément de l’argument de la tragédie des communs un argument en faveur de la transformation des communs en propriété privée, considérée comme la solution optimale au problème des ressources communes. Ainsi, il semble que, de quelque façon qu’on définisse les biens communs (comme chose commune, comme chose nulle, comme bien public impur), et en mettant les choses au mieux, leur gestion ne peut produire un résultat collectif rationnel (c’est-à-dire rationnel du point de vue de tous ceux qui sont concernés).

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Il existe plusieurs manières d’entrer dans un examen critique de l’argument et de ses variantes. D’un point de vue historique, on peut déjà se demander s'il y a jamais eu des formes où le libre accès était simplement synonyme d’absence de règlementation. Comme le fait remarquer Hemmungs Wirtén  à propos du cas des terres communes d’Angleterre:

« Avant l’enclosure, les terrains communaux n’ont jamais été un espace de liberté absolue. Ils appartenaient au maître du manoir et cette propriété de fait n’était jamais remise en question : techniquement, il s’agissait des terres non cultivées du manoir sur lequel elles étaient situées. Ce qui empêchait l’enclosure immédiate et complète des terrains communaux, c’était la reconnaissance de longue date de droits d’utilisation de la terre particuliers et coutumiers, qui étaient souvent fortement réglementés. Les occupants du domaine au fait de ces usages comprenaient des roturiers qui possédaient des terres, ceux qui occupaient des fermes, des auberges et des moulins et, au plus bas de l’échelle sociale, des paysans sans terre. Tous possédaient le droit d’utiliser pour eux-mêmes une partie des communaux pour l’élevage ou la collecte de noix. On assurait les droits communs liés à chacune de ces catégories de diverses manières. Profondément locales, les particularités de ces usages dépendaient d’un nombre presque infini de variables. » (Hemmungs Wirtén, 2013, p.3)

En prenant une autre perspective, on pourrait également se demander si le comportement rationnel et égoïste à court terme décrit par Hardin est une tendance aussi universelle que l’argument le donne à penser. Dans la mesure où son auteur reconnaissait lui-même comme pertinent le cadre interprétatif fourni par la théorie des jeux, on peut se demander si les expérimentations fondées sur « le jeu de la ressource commune », qui cherchent précisément à vérifier les prédictions de la théorie, infirment ou confirment la représentation d’un comportement opportuniste. Si l’on suit la mise au point de Nicolas Eber, les comportements observés ne tendent pas vers cet opportunisme généralisé que décrit le modèle (Elber, 2006, p.21-22).

Cependant, on peut choisir une voie plus argumentative et se demander si l’argument de « la tragédie des communs » ne contient pas déjà une prémisse discutable dans sa définition du commun. Pour l’écrire un peu brutalement, la situation du pâturage communal ressemble à celle où un ballon d’eau chaude est partagé entre plusieurs personnes, et où certaines d’entre elles ne font pas attention à leur consommation, tout en espérant naturellement que les autres ne vont pas faire de même. Les deux situations sont-elles comparables ? La thèse de l’échec des communs dépend en partie de la définition des communs ; or, celle-ci est-elle suffisante ? N’y a-t-il pas ici confusion entre libre accès – absence de propriété privée – et organisation collective ou propriété collective ?

Si dans le cas du pâturage, le sol appartient à tous, le statut de sa production (l’herbage) est proche d’une res nullius ou d’une chose à tout venant : il n’ y a pas plus ici de communauté que dans le cas où différentes compagnies de pêche nationales, portugaise, anglaise, hollandaise, prélèvent, chacune pour elle, des harengs dans la mer, ceci sans que soit fixée à l’avance la part que chacun a le droit de prélever. On retrouve les ambiguïtés de la notion de bien commun : est-ce à proprement parler une propriété commune ou plutôt une chose sans maître à laquelle chacun peut avoir accès (un accès non règlementé ou peu règlementé), du seul fait de son appartenance à un groupe ? Autrement dit, on retrouve le problème initial : dans la mesure même où la propriété est définie comme propriété personnelle, privée ou individuelle, une chose sans propriétaire n’est à personne. (On peut employer les trois adjectifs précités, dans la mesure où le droit ne distingue pas entre eux.) Le texte cité de von Mises montre avec, je crois, toute la clarté nécessaire, qu’il n’y a au fond que deux possibilités : avoir un propriétaire ou ne pas en avoir, la notion de propriété publique relevant souvent du « formalisme juridique », du moins dans tous les cas où on ne peut identifier de propriétaire (pour d’autres raisons, comme signalé, que dans les cas des épaves et des trésors). Mais, de nouveau, cette définition de la propriété est-elle suffisante ? Dans le même sens, des systèmes de biens à la fois non exclusifs et rivaux sont-ils seulement des biens publics impurs ? Défendre les biens communs, si on choisit de le faire, revient-il à défendre certains biens publics ?

III Propriété commune et biens communs

Pour tenter de clarifier la question, on peut d’abord proposer d’appeler « biens communs » seulement les biens dans lesquels il y a réellement propriété commune et non pas seulement libre accès. Von Ciriacy-Wantrup et Bishop ont ainsi proposé un critère positif, celui de propriétaire, pour distinguer une ressource simplement en libre accès, comme l’est une terre qui n’est encore à personne et qui est à tout venant, de ce que l’on peut viser par le mot de « propriété commune » (Ciriacy-Wantrup et Bishop, 1975). C’est l’objection de fond qu’on peut faire à l’argument de la tragédie des communs, pris dans son maximum de généralité : ni la notion de propriété privée, ni celle de propriété commune ne sont élucidées dans ses prémisses.

Cette distinction admise, la question qui demeure est celle de savoir si le titre de (co)propriétaire est un critère suffisant pour délimiter la notion de bien commun. Comme l’a souligné Ostrom, il n’est pas possible de faire de ce critère « tout ce qu’il faut pour réussir la régulation » dans les communautés (Ostrom, 2010, p. 116) : « en plus de fixer les limites » des propriétés, « il convient de définir des règles limitant l’appropriation et/ou instituant des obligations » (Ostrom, 2010, p.116). Si l’on détermine seulement qui a  le droit de s’approprier des ressources, on n’évitera pas que plusieurs appropriateurs ruinent ou appauvrissent la ressource commune. On ne voit pas ce qui peut faire ainsi sortir de la situation dans laquelle se déroule la tragédie des communs: il faut donc limiter l’appropriation. Qui dit propriété en ce sens entend ou suggère aussi qu’il y a des bornes à l’appropriation individuelle et des obligations envers les autres, précisément liées au statut de copropriétaire (Ostrom, 2010, p. 115-116).

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Les travaux d’Ostrom et du courant d’analyse économique qu’elle représente reposent sur un vaste matériel et se veulent empiriques, au moins au premier abord. L’économiste étudie, entre autres, les cas suivants d’institutions communautaires à succès de longue durée: une pêcherie turque; une tenure communale dans les prairies et forêts de haute-montagne, dans le village de Törbel, en Suisse; le même type de structure dans deux villages japonais; les systèmes d’irrigation appelés huertas, à Alicante, Murcie, Orihuela et Valence, en Espagne (Ostrom, 2010).

On a vu plus haut ce qu’il fallait entendre par « biens communs » ou « commons  ». Or, à étudier ces systèmes, on découvre une catégorie spécifique de choses, qui ne se ramènent ni à une chose nulle ou à une communauté négative, ni à une chose commune au sens de Grotius, ni simplement enfin à un bien public impur. Comme l’a souligné Ostrom, la notion de bien public convient mal, malgré les apparences, à cette espèce de communs naturels, dans la mesure où les décrire comme des biens non-exclusifs qui auraient le défaut d’être rivaux ne suffit pas.

Dans la théorie devenue classique, au moins dans ses grands traits, des biens publics, une forêt dite publique où l’on peut prendre une certaine quantité de bois (ou de champignons) entre dans la catégorie des biens non exclusifs mais rivaux. Or, si l’on suit les analyses d’Ostrom, les biens communs ne constituent pas simplement des biens publics qui ne remplissent qu’une des deux conditions (alors qu’il leur faudrait remplir les deux pour être dit purs). Il s’agit en fait d’une troisième catégorie; comme, en même temps, les systèmes étudiés sont des systèmes où la gestion des ressources est collective, on ne peut les ramener à une espèce de biens publics, incomplets si l’on veut. Il faut les appeler « biens communs », mais en les autonomisant, au moins relativement. Dans le même sens, on peut poser qu’il n’y a réellement biens communs que là où il y propriété commune, même si on ne fait pas du titre de propriétaire un titre suffisant. Ces biens ne sont donc ni privés, ni publics au sens défini plus haut, mais il est, je crois, légitime de les appeler proprement biens communs.

En élargissant le propos, on peut définir ceux-ci par les conditions suivantes. 1) Il faut qu’existe une ressource commune, qui n’est pas en accès libre. Ostrom cite ainsi la pêcherie côtière de Port Lameron, dans la province de Terre-Neuve, au Canada : « Bien que la pêche par des bateaux des villages voisins soit tolérée en période d’affluence, les limites de la « propriété » sont rigides quand le poisson est rare. » (Ostrom, 2010, p.210). 2) La gestion est directement dépendante des institutions (au sens de règles opérationnelles) qui sont communes. 3) Ces règles sont, au moins pour une part, fournies par les agents. 4) La gestion des ressources est fondée sur une coopération volontaire et est, en ce sens, collective.

Il ressort d’abord de l’étude de ces systèmes de biens qu’il y a des formes de communauté qui sont efficientes. Mais on peut également en tirer une remarque plus large et d’ordre plutôt épistémologique concernant le statut de ce type d’enquêtes (et donc aussi le statut d’un discours qui s’appuie sur elles, comme c’est le cas ici). Il a été écrit plus haut que ces enquêtes « se veulent empiriques ». Elles se présentent en effet comme telles et le sont certainement pour une part. Mais la question est précisément aussi de savoir si les problèmes auxquels elles entendent répondre, et les réponses apportées, sont simplement ou seulement empiriques.

On peut avoir le sentiment que la question traitée est simplement empirique et consiste en une réponse à la question : existe-t-il ou a-t-il existé des petites communautés viables économiquement ?

De ce point de vue, contrairement à ce qu’on a pu prétendre, la réponse est positive. Comme l’a fait remarquer Ostrom, cette réponse a déjà par elle-même son importance politique :

« Les cas empiriques présentés jusqu’ici ont été des réussites. En raison de la présomption d’échec qui caractérise tellement la littérature relative aux politiques (sic), il était important de présenter des exemples de succès. » (Ostrom, 2010, p. 175)

A suivre, en effet, les objections récurrentes adressées aux communs et le type de solutions proposées, souvent présentées en outre comme simples et de bon sens (les communs ne peuvent au mieux qu’être en dessous d’une gestion qui réalise un optimum social ; un régime de propriété privée est le plus à même de réaliser cet optimum), on ne comprend plus comment des systèmes relativement performants de gestion collective, c’est-à-dire des formes de communauté, ont pu exister et existent encore. En ce sens, l’enquête permet de dire que la théorie manque un certain nombre de cas qu’on peut pourtant juger significatifs.

C’est un aspect de la chose. Cependant, il y en a un autre. On peut juger qu’il s’agit aussi en même temps d’une tentative de réponse à un problème de droit: la possibilité d’une communauté économique, au sens large, qui soit durablement efficiente. Aussi, même si la portée de la réponse est limitée, il ne s’agit pas seulement d’une question historique et particulière.

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On peut aussi en tirer déjà une remarque plus large concernant l’opposition des propriétés privée et publique. On peut juger qu’elle pêche souvent par excès d’abstraction, dans le débat sur les solutions à apporter à la tragédie des communs. Comme le fait remarquer Ostrom, les partisans d’un Etat centralisateur sont comparables aux partisans de la privatisation en ce que les deux se réfèrent souvent chaque fois à « des institutions théorisées et simplifiées à l’extrême - paradoxalement des institutions presque  ‘‘sans institutions’’ » (Ostrom, 2010, p. 36).  On peut ainsi  préciser ce reproche :

 « L’affirmation selon laquelle une régulation centrale est nécessaire ne nous dit rien sur la manière dont une agence centrale devrait être constituée, l’autorité qu’elle devrait avoir, comment des limites à son autorité devraient être exercées, comment elle sélectionnerait ses agents etc...

Affirmer qu’il est nécessaire d’imposer des droits de propriété privée ne nous apprend rien sur la manière dont cet ensemble de droits serait défini, comment les divers attributs des biens impliqués seraient mesurés, qui paierait les coûts de l’exclusion des non-propriétaires de l’accès à la ressource, comment les conflits relatifs au droit seraient résolus, etc..» (Ostrom, 2010, p.36.)

De ce point de vue, cette absence de précisions permet de refuser l’alternative proposée entre les deux thèses. Ce n’est pas en effet seulement la thèse selon laquelle la création de droits de propriété privée résout le problème des communs qui présuppose ou qui engage une version simplifiée du marché ou de l’Etat. Cela peut être également le cas des modèles qui préconisent une intervention importante d’une autorité politique centrale: « les solutions  (…) imposées par « le » gouvernement sont elles-mêmes basées sur des modèles de marché idéalisés ou d’Etats idéalisés » (Ostrom, 2010, p. 256). Dans les deux thèses, les interventions réclamées aux institutions manquent d’indications sur les règles opérationnelles qu’il faudrait en général suivre pour mettre les principes en vigueur et les appliquer.

Au contraire, les propriétés communes étudiées supposent des règles opérationnelles qui, précisément, les rendent efficientes. Si l’on parle d’institution, il faut donc nécessairement que cela s’accompagne de l’énoncé de principes opérationnels. On ne peut se contenter de proclamer un principe: il faut également indiquer précisément les voies de son application (et peut-être réfléchir aux possibles effets pervers, du moins aux effets secondaires non-souhaitables les plus prévisibles). On peut ajouter à ce titre que ces règles fonctionnent à l’intérieur de communautés où la clause de non-exclusion n’est pas exactement la même que celle des biens publics : elle concerne des groupes la plupart du temps plus petits que celui d’un Etat-nation, même de petite taille. Il s’agit d’une non-exclusion relative, ce qui constitue aussi une raison de ne pas assimiler biens communs et biens publics

Si, de nouveau, l’on suit les analyses d’Ostrom, plusieurs conditions générales expliquent à la fois la durabilité et l’efficience des communautés (même si l’on considère, comme Ostrom le fait également remarquer, qu’il s’agit de conditions nécessaires et non suffisantes). Il faut: des limites clairement définies à la propriété et au droit d’appropriation; des dispositifs de choix collectif, qui font que ceux qui suivent les règles des institutions peuvent participer à leur élaboration et à leur éventuelle modification; un système de surveillance et de sanctions graduelles internes aux groupes ; des mécanismes relativement faciles d’accès, et relativement rapides et peu coûteux, de règlement des conflits ; une reconnaissance par les autorités extérieures d’un certain droit des propriétaires et des appropriateurs à s’organiser selon des règles ; enfin, dans le cas de groupes plus larges, lorsque les différentes activités sont réparties entre plusieurs groupes ou sous-groupes, il faut que ceux-ci soient fortement imbriquées, comme s’il s’agissait de différents secteurs d’une même entreprise de taille moyenne.

(On peut juger nécessaire d’insister sur la capacité des groupes à sanctionner leurs membres. Il serait naturellement naïf de croire qu’une communauté ne connaît ni tensions, ni conflits internes. Supposons par exemple, dans une contrée où l’eau est plus rare que dans d’autres, des jardins individuels de taille à peu près égale mais une ressource en eau commune, sous la forme d’une cuve dont chacun peut s’approprier la part nécessaire à l’arrosage. Un des cultivateurs peut bien décider d’abuser, privant les autres de toute ou d’une partie de la ressource ; il surexploite la ressource ; il peut le faire par rancune, jalousie ou esprit de vengeance. Mais cas ne relève pas par lui-même des problèmes posés par la propriété commune et il n’est pas assuré qu’un régime de propriété privée puisse mieux résoudre le problème. Dans tous les cas, il semble que la solution est plutôt le droit et la facilité de sanctionner la déviance ou de résoudre le conflit, c’est-à-dire la disposition d’une échelle de sanctions et la disponibilité de la justice.)

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On peut, je crois, se servir de ce qui précède pour tenter une clarification du concept de propriété commune. Dans les institutions communautaires, en un certain sens du mot, si l’on reconnaît aux membres du groupe un droit sur une part de la ressource commune, c’est dans la mesure où l’on reconnaît, implicitement ou explicitement, un « droit à » à ce membre : il a un droit sur une chose parce qu’il a d’abord droit à cette chose. C’est par exemple dans la mesure où j’ai un droit à ma conservation que j’ai ensuite un droit aux choses nécessaires à ma conservation. Autrement dit, il y a une propriété commune parce qu’est présupposée une communauté d’égaux, en ce sens que tous ont le même « droit à ». En étant un peu pédant, l’argument peut se décomposer ainsi :

-On est reconnu comme membre du groupe ayant un « droit à » ;

-On est par là titulaire d’un « droit sur » ;

-Ce droit correspond à une quote-part, à une quantité déterminée de la ressource ;

-L’acquisition de cette part provient précisément du fait qu’à l’intérieur du groupe, chacun a été reconnu comme pourvu d’un droit égal à puiser dans la ressource ;

-La restriction de la part que chacun peut s’approprier provient donc de la clause d’égalité (entre les ayant-droit qui forment groupe).

Il y a là un renversement de perspective. Si l’on regarde seulement la répartition, on peut en effet avoir le sentiment que les propriétaires se sont entendus sur une distribution. En conséquence, on a tendance à voir dans une propriété commune une forme de propriété à plusieurs dans laquelle chacun a un droit sur sa part propre. Cette impression provient cependant seulement du résultat final (chacun n’a droit qu’à une portion de la production ou de la ressource), qui est là pour assurer la possibilité de l’égalité.

Autrement dit, il ne faut pas renverser l’ordre des propositions, leur subalternation, si l’on préfère. Ce n’est pas parce que la communauté se ramène au droit que chacun a sur sa quote-part qu’il y a répartition ; c’est, à l’inverse, parce que chacun des membres est également possesseur, au sens large, que, pour maintenir l’égalité, chacun a droit seulement à une partie du tout. Si ce n’était pas le cas, l’accumulation des parts provoquerait la dissolution de la copropriété. Dans un régime de rareté relative, l’accumulation se fait nécessairement au détriment des autres, soit que l’égalité soit rompue parce que certains manquent du nécessaire, soit que la plupart ou tous y perdent parce que la ressource est épuisée.

En cherchant à simplifier sans déformer, on pourrait dire que, dans ce contexte, celui qui se conduit par opportunisme, au sens défini plus haut, ne se conduit plus comme membre du groupe, comme quelqu’un auquel a été reconnu ce statut d’ayant-droit à ; il se comporte comme un individu isolé qui, sans statut reconnu à l’intérieur du groupe, et sans reconnaître de statut particulier aux autres, profite d’un bien réputé collectif.

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Si à partir de là, on revient brièvement sur l’article séminal de Hardin, on peut mesurer son effet paradoxal. Comme l’a fait remarquer Laval,  d’un côté, il a « réintroduit la dimension des communs dans la discussion théorique » ; mais, de l’autre côté,  il l’a fait « en confondant le libre accès à des ressources et l’organisation collective de ressources » (Laval, 2011, p.4). L’argument et les positions de l’article peuvent se comprendre jusqu’à un certain point, si l’on considère qu’il cherchait à penser, avant tout, les problèmes de la pollution et de la surpopulation ; dans ce cadre, l’exemple du pâturage est mal choisi pour penser les communs, et même les parcs naturels, mais il peut être bien choisi pour poser les problèmes de la consommation d’air, des polluants et de la démographie.

La véritable difficulté est de se servir du cas jugé exemplaire d’un pâturage communal pour montrer que les communs ne peuvent demeurer tels et, par ailleurs, que la propriété publique n’est pas une solution souhaitable ; en conséquence de quoi seul un régime de propriété privée se révèle socialement efficace ; comme signalé, c’est ce qu’incitait à penser un texte comme celui de von Mises. Lorsqu’on procède ainsi, on commet le même type d’erreur que Hardin en supposant ou en présupposant une définition finalement simplement négative de la propriété commune, définition qui ne correspond ni à la réalité empirique des communs naturels, ni à un concept suffisamment clair de propriété commune.

Plus largement, il est possible de voir dans ce « glissement » conceptuel un écho, sous une forme évidemment fortement simplifiée et schématique, du geste de Grotius cherchant à montrer que les mers ne sont à personne mais que leurs productions sont à tout le monde. Si les mers sont faites pour l’usage commun, c’est en définitive parce que nul ne peut en prendre possession. Bien que le cadre juridique dans lequel s’inscrit son traité sur la liberté du commerce maritime et sur celle de la pêche soit à l’évidence moins simple, si l’on pousse un peu le sens d’une des prémisses de l’argument, il en ressort une alternative: soit une chose a un propriétaire, un titulaire unique, soit une chose est à tous parce qu’elle ne peut être à personne. A partir du moment où la pleine propriété ne peut être qu’une propriété privée, le commun est ce qui est sans propriété. On pourrait aller jusqu’à dire que, de la même façon qu’un bien public supposait le marché, la propriété commune au sens où Grotius puis Pufendorf l’ont entendu, pour autant qu’on restitue correctement leur pensée, suppose d’abord une définition de la propriété comme privative. Or, dans toutes les communautés mentionnées dans ce qui précède, il y a à la fois un ensemble de propriétaires ou de copossesseurs et une possession collective fondée sur l’égalité de droit entre ceux-ci.

Les biens communs ne supposent ni l’absence de propriétaires, ni l’existence d’un marché auxquels ils s’opposent, ni l’opposition entre propriétés privée et publique. Leur efficience durable ne vient pas de l’Etat comme alternative au marché, mais pas non plus de la transformation de choses sans maître en biens privés (ce qui, tout autre considération mise à part, montre, de nouveau, qu’il s’agit d’une catégorie spécifique).

L’un des points importants est que, dans les communautés restreintes, comme sont la plupart de celles étudiées par l’économie politique des communs, la rationalité ne semble pas seulement porter sur l’adaptation des moyens aux buts, ces buts et ces objectifs étant considérés comme simplement donnés. Elle porte aussi sur les buts eux-mêmes, même si, naturellement, ceux-ci ne sont pas vus comme buts finaux de l’action rationnelle. Il est en effet rationnel, non seulement d’adapter au mieux les moyens à l’exploitation de la ressource, mais aussi de penser d’avance, ex ante, à préserver la ressource ou à favoriser son augmentation.

Cela permet aussi d’accomplir plusieurs autres buts qui ne pourraient pas être poursuivis si la ressource était menacée ou épuisée, de la même manière que, dans un régime de concurrence marchand, la plupart des objectifs envisageables d’un entrepreneur autres que le profit (le prestige, le pouvoir, la qualité des relations avec le personnel, la reconnaissance du public) ne peuvent plus être poursuivis si l’entreprise, à long terme, ne fait pas de profit. La préservation des ressources communes apparaît ainsi comme une condition préalable à la poursuite d’autres objectifs.

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Selon toute apparence, une organisation communautaire peut fonctionner sans coûts excessifs. Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de souligner ce point, au risque d’être lourdement répétitif. L’activité économique des membres des communautés se situe dans une situation de rareté permanente, à laquelle s’ajoute un facteur d’incertitude. Autrement dit, leur situation et leur activité peuvent être subsumées, d’une manière qu’on peut juger exemplaire, sous la définition, largement partagée, qu’a pu donner l’économiste Lionel Robbins de sa discipline :

« l’économie est l’étude du comportement humain comme relation entre des fins et des moyens, rares, qui ont des usages mutuellement exclusifs. » (Robbins, 1932, p. 15, traduction du rédacteur).

Ceux qui, à partir de là, posent que la propriété privée est le mode de gestion le plus rationnel de l’activité économique, comme le fait le texte cité plus haut de R.J. Smith, soutiennent deux propositions: 1) un régime de communauté produira une « tragédie des communs » ou, en mettant les choses au mieux, une situation fortement sous-optimale socialement (c’est-à-dire sous-optimale du point de vue de tous ceux qui sont concernés); 2) les agents qui sont rationnels comprendront que la propriété privée est la solution optimale à cette tragédie.

Dans les cas étudiés, pourtant, les agents concernés n’ont pas choisi la propriété privée. Comme l’a fait remarquer Ostrom, on peut supposer qu’ils l’auraient fait s’ils l’avaient trouvé efficace puisqu’ils ont eu, sur les moyenne et longue durée, « l’opportunité d’établir des régimes fonciers différents » (Ostrom, 2010, p.80). Autrement dit, ces formes communautaires sont rationnelles à l’intérieur d’une définition de l’économie qui met l’accent sur l’exclusivité des choix et sur la rareté. On peut y voir un indice concluant en faveur de la thèse selon laquelle la privatisation des ressources n’est ni constamment une solution optimale au problème de la satisfaction des besoins, ni même, plus largement, constamment une bonne solution à ce problème.

Ainsi, certaines formes de communauté sont durablement efficaces, à la fois dans la reproduction de ressources substantiellement rares et dans la satisfaction des besoins: il y a donc bien une rationalité de la propriété commune, à condition de ne pas entendre par là un simple dispositif de libre accès.

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On est amené par là à se demander ce qu’il faut ici entendre par « rationalité » et à tenter de préciser le type de rationalité dont font plus précisément preuve les agents de la communauté.  Comme signalé, elle a d’abord les traits d’une rationalité économique au sens étroit : coordonner les moyens minimaux nécessaires pour atteindre un objectif donné, selon la définition citée plus haut. Mais on peut se demander si ces traits suffisent à la caractériser, c’est-à-dire si elle appartient simplement à la catégorie de raison instrumentale, composée pour l’essentiel des formes technique et économique de rationalité. Autrement dit, quelle serait plus exactement la place de cette forme de rationalité dans l’ensemble des formes de rationalité qui appartiennent à « la raison instrumentale »?

Comme l’a fait remarquer Michaël Lowy, le concept de raison instrumentale a une origine et des significations complexes, ce qui peut rendre son usage compliqué dans le cadre restreint de cet exposé : pour une part, il résonne immédiatement comme un concept critique, qui n’est certainement ni neutre, ni non-évaluatif; pour une autre part, son origine est floue chez ceux mêmes qui l’utilisent (Lowy, 2013, p.162). Aussi, pour préciser la question en se servant de distinctions relativement neutres, on peut s’appuyer sur celle posée par Karl Mannheim dans Man and society (Mannheim, 1940).

Mannheim propose de distinguer  entre un usage de la raison qui consiste à calculer et à coordonner les moyens convenables pour atteindre une fin donnée (qu’il appelle « raison fonctionnelle », parce qu’elle est instrumentale) et un usage qui détermine, à la fois, l’idée du plus grand bien à poursuivre et les buts finaux de l’action (qu’il appelle « raison substantielle » parce qu’elle porte directement sur la matière, le contenu ou la valeur des buts àatteindre). Comme Lowy le fait également remarquer, même s’il s’inscrit dans l’héritage de Max Weber, Mannheim est le premier – mais naturellement pas le dernier - à poser ce type de distinction de manière formelle (Lowy, 2013, p. 162).

Il semble à l’évidence qu’une rationalité économique soit une raison fonctionnelle, spécifique en ce qu’elle cherche l’efficience. Mais il est peut-être difficile de réduire cette spécificité à une simple adaptation économe des moyens à des objectifs donnés, selon les critères habituels. D’après les cas mentionnés dans ce qui précède, la raison fonctionnelle économique porte sur les fins de l’action, même si celles-ci sont à l’intérieur du domaine des fins hypothétiques. En effet, un des buts de la gestion collective est de maintenir à tout prix la ressource; or, ce but est lui-même jugé par les agents plus rationnel que celui qui consisterait à seulement chercher à exploiter les ressources. Autrement dit, il ne semble pas qu’on se trouve devant des cas de pures et simples adaptations de certains moyens à des objectifs donnés. La question est alors de savoir si se dégage de là un type propre, un type supplémentaire si l’on veut, de rationalité instrumentale.

On pourrait dire, il est vrai, qu’il s’agit simplement de poser une exploitation rationnelle des ressources. On retrouve ainsi le concept économique de rationalité, puisqu’il ne paraît pas économiquement rationnel d’épuiser la ressource exploitée : il est rationnel d’épargner les moyens rares si on le peut, et non-rationnel de gaspiller les choses. Mais on peut justement juger que l’expression « exploitation rationnelle » est ambiguë. Après tout, s’il s’agit d’exploiter une ressource, celui qui a épargné l’effort, le temps, le travail et a satisfait ses besoins prioritaires, est rationnel. Mais s’il s’agit aussi en même temps de préserver la condition préalable de la satisfaction (et de toutes les autres possibles, puisqu’elle a été jugé prioritaire en premier lieu), l’agent est également rationnel.

Il semble que les deux espèces de rationalité ne soient pas de degré égal. La seconde est plus complète ou, si l’on préfère, moins restreinte que la première, puisqu’elle prévoit déjà, ex ante, le renouvellement, la perpétuation et, si possible, l’augmentation de la ressource. Supposons que des champignons comestibles soient un bien alimentaire de première nécessité : du point de vue d’un cueilleur, il est certes rationnel de prendre dans une forêt domaniale la part de champignons naturellement poussés qu’il juge nécessaire à sa conservation. Mais il est davantage rationnel de supposer d’autres cueilleurs possibles, qui sont dans la même situation, et de chercher à limiter l’appropriation de chacun par le respect de la condition de préservation de la ressource pour tous les agents, et en conséquence de ne pas laisser à la libre appréciation de chacun la part jugée nécessaire.

Dans les deux cas, il semble qu’on ait affaire à une rationalité fonctionnelle économique. Mais la seconde semble plus rationnelle, dans la mesure même où elle porte aussi sur certains buts de l’action. La rationalité en question ne porte pas seulement sur le calcul et la coordination des moyens convenables parce que la fin n’est pas simplement considérée comme donnée: elle est également choisie de manière rationnelle. On peut, naturellement, conserver la distinction entre raison fonctionnelle et raison substantielle, dans la mesure où il ne s’agit pas de déterminer, par exemple, la valeur de l’existence, de choisir un genre de vie ou de fixer les buts suprêmes de la volonté. En revanche, considérer la raison fonctionnelle en général comme un simple calcul de moyens, et la rationalité économique comme la recherche de la combinaison la plus judicieuse de ces moyens, sans considérer la valeur des objectifs, paraît une réduction.

Il y a certainement des cas où la rationalité se veut purement technique: on peut penser que cela est valable pour une partie de la stratégie militaire ou, dans un autre registre, pour le terrorisme de masse exercé contre des populations civiles, ou encore pour un assassin qui prépare un poison supposé indétectable. Le même genre de remarques peut s’appliquer à une part importante des comportements économiques.

Une société peut par exemple choisir de préférer mille hectolitres à mille hectolitres de vin, ou l’inverse. Jusque-là, le choix est extérieur à la rationalité économique. C’est au-delà que commence la mise en œuvre de celle-ci, lorsqu’il faut calculer le minimum de moyens nécessaires à la production de mille hectolitres, sachant que les agents ont évidemment d’autres besoins à satisfaire.

Il y a cependant aussi de nombreux cas, qu’on peut juger importants, où la raison fonctionnelle se préoccupe également de la valeur des buts, sans pour autant sortir de son champ propre, ce que semble montrer le fonctionnement des propriétés communes durables. Pour résumer, on ne découvre sans doute pas ici une troisième catégorie de rationalité, qui ne serait ni simplement fonctionnelle, ni véritablement substantielle (et qui serait en quelque sorte l’analogue, pour la classification des formes de rationalité, de la place ambiguë occupée par les biens communs, qui ne sont ni publics, ni privés). En revanche, on peut avoir quelque raison de penser qu’on se trouve devant une rationalité économique élargie. La rationalité écologique dont ont pu faire preuve les agents des communautés étudiées est peut-être le cas exemplaire d’une telle forme de rationalité.

De ce point de vue, on ne peut éviter de répondre à la question de savoir si les analyses citées ne concernent que des « communautés locales ». L’expression elle-même est ambiguë et demande d’abord à être clarifiée. Il est exact que plusieurs des communs étudiés correspondent à des groupes petits, au sens où, souvent, ils ne dépassent pas la taille d’un village. Les habitants y sont liés par un monde de perceptions communes, souvent sur plusieurs générations, sur une base familiale, comme c’est également le cas de certaines formes de villages. Mais ce n’est pas vrai de tous : ni la nappe aquifère de Californie, ni le système, envisagé en tant que tel, des huertas ne sont dans ce cas : il ne s’agit ni constamment de groupes primaires, ni de groupes secondaires restreints, même s’il s’agit de groupes limités au sens où chacun a encore la possibilité de percevoir les autres comme membres du même groupe. Il serait donc faux de réduire ce type d’analyses à l’analyse de cas de taille très réduite.

La question que soulève l’économie politique des communs n’est pas de savoir si l’analyse n’est valable que pour des communautés faibles et, en outre, relativement isolées. Le problème, s’il y en a un, ne se pose, je crois, ni à ce niveau, ni de cette façon. Il serait plutôt de savoir comment organiser à plus large échelle une coordination entre des groupes secondaires limités, de manière à obtenir la même efficience que celle qu’on observe dans la gestion d’un de ces groupes.

Il y a pourtant quelque chose de juste dans le sentiment que l’on a affaire à des communautés locales : il ressort des études mentionnées que les groupes humains concernés sont chaque fois liés à des territoires, si l’on entend par là, comme le font habituellement les géographes, un espace dans lequel se projettent les « structures spécifiques d’un groupe humain, qui incluent le mode de découpage et de gestion de l’espace, ainsi que son aménagement » (Brunet, Ferras, Robert, Théry, 1993, p. 480). Il est assez clair que la notion de territoire prise en ce sens joue un rôle déterminant. Dans les cas observés, il semble que ce ne soit pas la ressource qui soit censée s’adapter aux besoins indéfinis des hommes, mais plutôt que ce soit les hommes qui, avec leurs besoins, s’adaptent à la ressource de manière à la maintenir. En ce sens, on peut parler de communautés locales, parce qu’elles sont particularisées géographiquement. Dans le même sens, la question est de savoir si le groupe peut s’imposer ou si l’on peut imposer à un groupe le même type de gestion, dans les cas où il n’est pas clair aux yeux des agents qu’ils ont affaire à une ressource substantiellement rare ou à un territoire particulier.

IV L’institution des biens communs

Puisqu’on a employé fréquemment jusqu’ici le mot « gestion », on pourrait non sans raison demander, au vu des caractéristiques recensées des biens communs, pourquoi on n’a pas employé plus tôt dans l’exposé le mot « autogestion » pour décrire ces systèmes. Il est hors de propos de tenter une généalogie de l’autogestion ou de tenter une comparaison entre la gestion des biens communs et les différentes variantes de l’autogestion. En revanche, on voudrait expliquer et si possible justifier le non emploi du mot. Si l’on suit la synthèse relativement récente de l’historien Frank Georgi, « autogestion » est d’abord la traduction littérale du mot serbo-croate employé pour désigner les structures nouvelles d’organisation de production mises en place en Yougoslavie. Le mot apparaît dans des publications yougoslaves de langue française dès le début des années 1950 (on compte ainsi plusieurs occurrences en 1953) mais ne devient relativement courant en français que vers la fin de la décennie. Il se diffuse ensuite largement dans ce qu’il est convenu d’appeler la gauche mais selon des variantes fortement différentes, de sorte qu’il vaut finalement mieux parler des autogestions que de l’autogestion (Georgi, 2003, p.18-19). Les usages du mot rendent ainsi la notion très plastique et les contours en sont relativement flous.

En la prenant dans son extension la plus large, l’autogestion est la gestion d’une entreprise ou d’une collectivité par le personnel qui y travaille, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants élus par le personnel et révocables par lui. Si l’on se tient à ce sens, on peut bien dire que les communs représentent une forme d’autogestion, dans la mesure où l’accès aux ressources et leur usage sont largement déterminés par les producteurs eux-mêmes. On voit cependant rapidement aussi les différences : les institutions communautaires sont souvent coutumières ou appuyées sur des coutumes ; presque autant que la gestion, ce qui est mis au centre est la question de la propriété, alors que la notion d’autogestion tend à se centrer sur la question de la hiérarchie ; enfin, il ne s’agit pas d’abord d’organiser la production dans l’entreprise mais de délimiter l’appropriation de la ressource (une fois décidé qui aura droit à l’appropriation). En raison de ces différences, en raison aussi des résonances historiques et politiques de « l’autogestion » et, enfin, en raison du flou relatif qui s’attache à ce dernier concept, je crois que l’on peut se contenter de parler, de manière relativement neutre, de « gestion collective ».

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On peut cependant remarquer que l’usage de « biens communs » peut être comparé à celui d’ « autogestion » en un autre sens. L’autogestion a souvent été présentée comme une troisième voie possible pour une économie sociale d’échanges : ni libre marché capitaliste, ni planification centralisée, donc étatique. De manière sensiblement analogue, il peut être tentant de considérer une politique des biens communs comme une possibilité qui évite le choix entre biens privés et propriétés privées, et biens publics et propriété publiques. On pourrait ainsi avoir le sentiment que la défense des biens communs revient à chercher une troisième voie, i.e. à ne pas vouloir choisir entre une gestion par propriétaires privés et une gestion par la production étatique de biens publics. On préférerait poser des biens qui ne soient pas privés et qui soient collectifs, sans être pour autant publics selon les critères classiquement retenus.

La difficulté est que, même prise indépendamment de ses usages politiques, qui ne sont pas parties du sujet traité ici, l’idée de troisième voie contient l’idée de voie intermédiaire et que cette idée a des résonances péjoratives. Les résonances péjoratives de l’expression s’expliquent si l’on considère que cela signifie bien souvent qu’on tente en réalité une voie moyenne, avec tout ce que dernière expression suggère à son tour de capacité à proposer des fausses solutions et à prendre des positions ambiguës. Le soupçon paraît motivé : on doit se demander si l’on ne tend pas à favoriser surtout une forme ambiguë, une sorte de voie moyenne aux contours assez mal définis. Si l’on compare, ne serait-ce que superficiellement, les communs à des systèmes d’autogestion, on ne peut, je crois, éviter de préciser ce genre de points.

On peut faire ici deux remarques pour contribuer à les clarifier. D’un côté, s’il est avéré que la recherche d’une troisième voie comporte un risque d’ambiguïté et peut amener à prendre des positions moyennes ou floues sans beaucoup de pertinence, refuser une alternative n’est certainement pas un geste critiquable en général. Il est de nombreux cas où c’est la position d’une alternative elle-même qui ne se justifie pas, puisqu’un problème ou un complexe de problèmes ne peut justement pas être exprimé sous la forme d’un choix entre deux propositions qui s’excluent.

En revanche, si l’on accepte l’alternative, on se trouve ensuite enfermé non dans un choix possible entre deux solutions d’inégale valeur, mais seulement dans une situation où domine l’illusion d’un choix possible. L’expression « illusion du choix possible » a été, à ma connaissance, d’abord employée par les psychiatres Weakland et Jackson à propos de la situation où se trouvent placés certains schizophrènes. Elle a été ensuite généralisée dans le texte de Paul Watzlawick et alii, Une logique de la communication, à des situations autres que celles étudiées par la psychiatrie, mais où l’on retrouve la même structure. Ces situations peuvent se décrire comme une espèce particulière de dilemme. Placé devant une alternative, chaque fois que le sujet choisit une des branches, il se trouve rapidement de nouveau à devoir choisir entre des options qui s’excluent mutuellement mais qui, en même temps, enferment le sujet dans des choix de plus en plus difficiles et insatisfaisants.

Dans toutes ces situations (plus nombreuses et plus courantes qu’on ne pourrait le penser), le sujet est enfermé en apparence dans un choix contraignant entre seulement deux possibilités ; la vérité, cependant, est autre. Comme le résume Watzlawick :

 « Il n’existe pas de réelle alternative où l’on ″devrait″ choisir la ″bonne″ solution; c’est l’hypothèse elle-même qu’un choix est possible et qu’on doit le faire qui est une illusion. » (Watzlawick et alii, 1979, p.235)

Le soupçon selon lequel poser des biens communs reviendrait à choisir une troisième voie incertaine me paraît relever de cette espèce d’illusion, dans la mesure où la question qui se pose d’abord est précisément de savoir si l’on se trouve réellement devant une véritable alternative entre privé et public. Adopter ici la position qui consiste à dire : « je ne choisis ni l’un, ni l’autre », c’est-à-dire ne choisir aucune des deux solutions proposées et rejeter le principe même du choix,  peut donc être raisonnable.

On peut, d’autre part, se permettre de souligner l’avantage du recours à la catégorie en question du point de vue de la stratégie argumentative : on ne se place pas ainsi en position de défenseur d’un bien menacé. Si l’on est en effet placé devant l’alternative précitée, et qu’on choisit de soutenir qu’après tout les biens publics doivent être maintenus, on se trouve, dans la conjoncture, adopter la position du conservateur d’un bien, sans avoir de proposition nouvelle à formuler, autres que celles qui touchent à la meilleure manière de préserver le bien en question. Ceux qui soutiennent la position adverse ont l’avantage de proposer des solutions qui, bonnes ou mauvaises à l’usage, sont nouvelles, c’est-à-dire qui ne consistent pas en simples réactions de protection.

Ainsi, il semble plutôt qu’en défendant les biens communs, on prend deux positions : 1) refuser une alternative parce qu’elle est, pour une assez large part, artificielle ; 2) proposer une autre solution au problème posé, précisément masquée jusque-là par la formulation d’une alternative. Cela fait au moins deux raisons, je crois non négligeables, de soutenir la spécificité des biens communs. Le point qui reste à préciser est alors celui de la fonction et du poids de l’institution, au sens large, dans la production de ces biens.

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Il découle en effet de l’analyse de ces formes que les biens communs sont établis comme tels ou, précisément, institués, à la différence du cas exemplaire des mers dans l’argumentation de Grotius, que la nature avait posé comme communes pour l’usage des hommes. Dans le cas des biens communs (et, en l’espèce, la même remarque vaudrait pour les communs de la connaissance) il s’agit d’établir ce qui sera commun, puisqu’il serait tout aussi bien possible des les privatiser.

Cela va dans le sens de l’idée d’une institution de la communauté. On peut trouver là une raison supplémentaire de ne pas réduire les biens communs aux biens publics. Dans le fait, les utilisateurs et copropriétaires coproduisent (et reproduisent ou adaptent) les normes et règles qui font d’une chose un bien commun. Il y a donc bien une institution du commun et non des biens qui seraient communs par leur nature ou par leur essence propre. Comme le fait remarquer Ostrom à propos des villages japonais et suisse qu’elle a étudiés :

«Les villageois des villages suisse et japonais ont choisi de conserver l’institution de la propriété communale comme base pour l’utilisation de la terre et d’autres aspects aussi importants de l’économie villageoise. Leur survie économique a dépendu de leur compétence dans l’utilisation de ressources limitées. On ne peut envisager la propriété communale (…) comme les restes d’institutions antérieures instaurées sur une terre d’abondance. Si les coûts de transaction générés par la gestion de la propriété communale avaient été excessifs par rapport à ceux d’institutions de propriété privée, les villageois auraient disposé de nombreuses opportunités d’établir des régimes fonciers différents pour ces terrains communaux de montagne. » (Ostrom, 2010, p. 80)

La remarque citée vise d’abord l’objection aux communs selon laquelle, même si la propriété commune ne se traduit pas par la destruction du bien, elle amène un quantité excessive de négociations complexes, compliquées, perpétuellement reconduites (les « coûts de transaction » ou « de négociation ») pour tout ce qui concerne la définition et l’application des règles régissant l’attribution et la gestion des biens. On peut cependant élargir le sens de la remarque et mettre l’accent sur ce qui ressort des cas étudiés: il aurait été tout à fait possible et, en apparence au moins, pas irrationnel, de faire des ressources en eau ou en bois des biens privés.  Autrement dit, placés à l’intérieur d’un cadre où, selon la définition citée plus haut, les agents doivent adapter aux buts poursuivis des moyens rares, ayant des usages mutuellement exclusifs : 1) les agents choisissent une forme de communauté, et non la propriété privée ; 2) ils instituent en même temps que des biens communs des règles opérationnelles communes d’administration de ces biens. Que la décision de ne pas privatiser et les règles de gestion soient  coutumières ou non importe moins à ce niveau que le fait qu’elles sont institutionnelles, donc jusqu’à un certain point qu’elles sont le produit d’un choix et d’une convention.

La question qui se pose naturellement est de savoir ce qu’il faut entendre par « institutions » lorsqu’on parle des « institutions communautaires ».Jusqu’ici la notion d’institution a surtout servi à insister sur la notion de règle opérationnelle : une institution qui n’en comporte pas d’assez précises n’est pas réellement une institution. On ne peut cependant se contenter de cette définition, synonyme de règle instituée.

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D’après Le Robert, (qui indique aussi que ce sens date de la fin du dix-huitième siècle) les institutions se définissent comme « l’ensemble des formes ou des structures fondamentales d’organisation sociale, telles qu’elles sont établies par la loi ou par la coutume (dans un groupe humain) et, spécialement, celles qui relèvent du droit public. » On peut coupler ce dernier trait avec ce qu’indique le Trésor de la langue française informatisé à propos du verbe « instituer ». Un sens d’abord rare a été donné au mot par Rousseau : « doter d’institutions politiques », la source citée précisant que le verbe est employé en ce sens dans la deuxième version du Contrat social, dans le Livre II, au chapitre 7. On voit donc qu’assez rapidement dans l’usage que nous faisons des mots : « institution », « instituer » nous renvoyons aux principes du droit politique, au droit public, au droit constitutionnel, aux organisations publiques ainsi qu’aux pouvoirs publics et à l’Etat.

On retrouve ici par là même la question des rapports entre ce qui est commun et ce qui est public. La question pourrait être formulée ainsi : instituer les biens communs, est-ce se décider en faveur de certains principes de droit public et se doter de certaines institutions politiques ?

Au vu de ce qui précède, il semble que la réponse à la question prise en ce sens soit négative. Il ne s’agit visiblement pas, du moins pas directement, de doter les communautés d’institutions politiques publiques, bien que les règles de gestion des communs puissent être reconnues par un Etat et une législation publique. Cela ne signifie pas non plus que ces communautés instituées n’aient pas des traits politiques ; mais ceux-ci ne relèvent pas du droit public. On pourrait plutôt parler à leur propos de conventions collectives, à condition de ne pas entendre par là seulement des accords explicitement négociés. Le caractère conventionnel implique également la possibilité d’assouplir ou de changer les règles instituées, par exemple en fonction de la taille du groupe ou en raison d’une modification de l’environnement (raréfaction de la ressource ou au contraire plus grande abondance). Comme l’a fait remarquer Ostrom, dans de nombreux cas documentés, tout indique que de possibles changements institutionnels ont été prévu ex ante et peut-être lors de l’établissement de la coutume. En renversant cette proposition, on est fondé à dire que la modification des règles prouve qu’il s’agit de conventions. Une des raisons de maintenir la thèse d’une distinction entre domaine commun et domaine public (et donc les distinctions qui découlent de celle-ci entre gestion commune et gestion publique et entre biens communs et biens publics) est donc l’ambiguïté de la catégorie des communs au regard des classifications établies.

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Quelle que soit, cependant, la position qu’on adopte sur ces points, on peut marquer le caractère positif et non seulement négatif des institutions qui officialisent, protègent et conservent les biens communs. On peut, pour préciser ce que l’on entend par « positif », revenir brièvement sur l’argument par lequel Grotius défendait la liberté d’accéder aux mers. Les mers doivent rester rei communes parce qu’aucun homme, aucun groupe ne peut s’assurer leur possession effective. Dès lors, on peut bien imaginer de nommer des juges capables de dire si quelqu’un essaye de s’arroger un monopole sur la mer et des agents capables d’appliquer leurs décisions, mais on reste à l’intérieur d’un cadre négatif dans lequel la loi prohibe. Il ne s’agit pas d’une loi ou d’une règle qui donnent une forme à l’existence d’un bien institué comme commun. A l’inverse, dans les cas étudiés ici, une partie des règles a pour but de donner un contenu au bien et d’en protéger la conservation, par exemple en limitant l’appropriation. En l’espèce, poser une limite n’est pas simplement un acte négatif, puisque c’est l’existence de cette limite qui garantit la subsistance de la ressource.

Ce caractère institutionnel soulève directement plusieurs questions liées, qui touchent toutes au rapport entre la coproduction des normes juridiques par les membres des communautés et la production de normes semblables par l’Etat, questions auxquelles, même dans les limites de cet exposé, on ne peut éviter de tenter de répondre.

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La première question peut être formulée ainsi : l’institution et les normes communes qu’elle suppose doivent-elles être constamment ou nécessairement non-étatiques ? La question n’est évidemment pas sans présupposés : une fois reconnue la différence entre commun et public, on peut avoir tendance à poser que les modes de production de l’un et de l’autre sont également très différents et donc, au final, que le commun doit être indépendant ou du moins très distinct de la puissance publique, i.e. de l’Etat. En ce sens, Pierre Dardot a pu écrire que l’exigence du commun n’était pas « celle de l’égalité devant la loi, mais celle de l’égalité dans la co-production de normes juridiques non étatiques » (Dardot, 2010, p.6). L’arrière-pensée théorique est ici qu’il faut refuser d’admettre que, puisque les communs sont incapables de se gérer eux-mêmes, une intervention extérieure est nécessaire, l’Etat étant vu comme puissance extérieure d’intervention.

Il est certain que « l’exigence du commun » ne se réduit pas à celle de la simple égalité devant la loi. On peut cependant se demander si les normes juridiques doivent généralement se faire d’abord en-dehors de l’Etat. On peut penser que l’Etat peut contribuer à produire aussi ces normes, ne serait-ce qu’en inscrivant dans la loi des pratiques juridiques « spontanées », en donnant force de loi à des usages et des coutumes ou, encore, en exploitant la possibilité qu’ont les juges d’interpréter la loi et de créer une jurisprudence (c’est-à-dire « l’ensemble des décisions judiciaires d’où se dégage une règle de droit constamment suivie par le juge dans le passé ou à laquelle il se tiendra probablement à l’avenir » (Malaurie et Morvan, 2003, p.243)). Ainsi, il ne paraît pas nécessaire d’aller jusqu’à opposer la coproduction des normes institutionnelles aux institutions étatiques.

Plus haut, on a employé les mots « usages » et « coutume ». Il ressort clairement des études économiques et historiques des communs qu’il s’agit le plus souvent d’institutions coutumières et fort anciennes. Comme le reconnaît Ostrom, les cas étudiés « démontrent clairement la faisabilité de solides institutions d’auto-gouvernance (…), mais la trace des origines de ces systèmes ont été perdues» (Ostrom, 2010, p. 129).

Il n’est peut-être pas tout à fait inutile, en ce sens, de préciser d’abord le sens du mot « coutume »,  dans la mesure où, comme le notent Malaurie et Morvan, considérée en elle-même, la coutume  « se révèle une notion fuyante (tout le monde ne l’entend pas de la même manière) et relative (elle varie avec le milieu juridique dans lequel elle s’inscrit) » (Malaurie et Morvan, 2003, p. 231). Pour les besoins de l’exposé, il est possible de se contenter de fournir une de la coutume définition relativement simple, en disant qu’elle est un ensemble « d’usages juridiques (qui diffèrent des usages de convenance, telles les manières de vivre) devenus obligatoires par une répétition durable, paisible et publique » (Malaurie et Morvan, 2003, p.227).

Il est cependant nécessaire d’ajouter à cette définition qu’une coutume est d’abord indépendante de l’intervention du législateur. Comme l’a fait remarquer le juriste André Lebrun, la coutume se dégage lentement d’un milieu social donné pour devenir une règle de droit « indépendamment de toute intervention expresse ou approbation, même tacite, du législateur » (Lebrun, 1932, cité ici in Malaurie et Morvan, 2003, p. 227). Quelle que soit la manière dont on explique la manière par laquelle un usage devient une loi ou une règle de droit, et quelle que soit, également, la manière dont on juge le fait que la coutume produise des normes et du droit, le fait en lui-même est précisément incontestable.

Pour ce qui concerne le sujet traité, il serait excessif et inexact de poser que, parce que les institutions étudiées sont très souvent coutumières, elles le sont nécessairement ou doivent l’être. On ne voit pas en effet pourquoi on ne pourrait pas coproduire actuellement des normes légales qui seraient l’équivalent fonctionnel des règles qui organisent les institutions coutumières. Ce serait également tendancieux, dans la mesure où cela laisserait facilement penser que ces institutions sont nécessairement anciennes et doivent être considérées comme des survivances. En revanche, les coutumes peuvent être considérées comme des preuves qu’on peut organiser des institutions communautaires à la fois efficientes et particulièrement durables.

Une question plus précise, qui découle de la précédente, est celle de savoir s’il faut aller jusqu’à opposer un droit issu de la coutume au travail des législateurs. Bien qu’on ne puisse évidemment pas ici proposer plus qu’un élément de réponse, on peut déjà se demander si la pratique juridique sanctionne réellement une telle opposition.

Le cas du droit français peut être à cet égard intéressant, dans la mesure où il passe pour incarner une tradition centralisatrice qui met au premier rang les décisions du législateur. La réalité est plus complexe. Si l’on met de côté les cas où la coutume s’oppose aux directives de la loi, on reconnaît au moins deux types de cas où la loi reconnaît la coutume.

D’une part, la loi opère une délégation expresse à la coutume lorsqu’elle se heurte à des diversités locales ou professionnelles. On peut citer ainsi l’article L. 2223-28 alinéa 2 du Code Général des Collectivités territoriales qui légitime les « coutumes anciennes » concernant des territoires où les familles procèdent d’elles-mêmes ou par les soins de sociétés charitables au transport et à l’enterrement de leurs morts (Malaurie et Morvan, 2003, p. 235). Cet exemple pourra être jugé anecdotique. Il a été cependant retenu parce que l’expression « coutumes anciennes » figure dans le texte de l’article de loi. Dans ce genre de cas, la coutume seconde la loi (ou, selon la formule juridique, coutume secondum legem, la coutume est conforme à la loi).

 D’autre part, pour une autre série de cas, la coutume est constituée de pratiques de professionnels (du droit, du commerce, de l’administration) qui expriment en formules figées et répétitives des règles qui rendent la loi plus concrète et précise et en définitive plus applicable. Par exemple, en droit civil, l’usage sanctionné est de désigner la femme mariée par le patronyme du mari. Dans ces cas, la coutume est à côté de la loi tout en étant reconnue par elle comme nécessaire, à des fins d’application, tacitement ou expressément (ou selon la formule juridique, dans ces cas, la coutume est praeter legem, à côté de la loi).

Ainsi, dans de nombreux cas, la loi délègue certaines décisions à la coutume ; dans d’autres, elle s’appuie sur elle pour faciliter son application. On ne peut donc pas, je crois, se servir de la différence entre biens publics et communs pour poser une opposition entre règles coutumières et normes publiques, les deux pouvant, semble-t-il, se relayer mutuellement ou s’appuyer l’une sur l’autre. Quelles que soient cependant les positions qu’on arrête sur ces questions, il ressort de ce  qui précède qu’on ne peut ni ramener le domaine commun au domaine public, ni les institutions communautaires à des institutions publiques.

Conclusion

Malgré quelques précisions données de temps à autre, on a pu avoir le sentiment que le propos tenu relevait, pour une part, du droit et, pour une autre part, plus large, de la discipline économique, sans être tenu par un juriste ou par un économiste, impression désagréable que l’on voudrait d’abord tenter de dissiper.

Il est évident que le problème des biens communs relève du champ des problèmes traités en économie. Mais il semble plutôt, à la lecture d’une partie des ouvrages consacrés à ces questions, qu’il y a au moins deux dimensions qui relèvent de bien d’autres champs théoriques, et notamment de ceux de la philosophie pratique.

Le problème porte directement sur la propriété, qui relève du droit et de la philosophie du droit, sauf à soutenir que la propriété n’est pas une question philosophiquement intéressante, position tout de même difficile à soutenir, ne serait-ce que du point de vue de l’histoire de la discipline.

L’économie politique des communs (re)met au centre l’importance des institutions, ce qui conduit naturellement à la question de savoir ce qu’est une institution, question qui relève, au moins autant qu’une autre, de l’éthique sociale ou de la philosophie politique, donc, de nouveau, de la philosophie pratique.

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La question d’ensemble était de savoir si l’on pouvait soutenir qu’au moins une forme de communauté pouvait prétendre être une condition d’une organisation sociale et économique différente de celle actuellement dominante, mais efficace ou efficiente (alors que la notion de biens communs avait pu être jugée ambiguë, et qu’on a pu juger aussi non sans raisons que les régimes de propriété commune étaient inefficaces dans l’allocation des ressources aux besoins). Ce que l’on peut tirer de ce qui précède va dans le sens d’une réponse positive, même si les aspects jugés positifs sont limités et, en ce sens, relativement décevants. On peut dégager quatre aspects.

1) On peut, tout d’abord, de nouveau insister sur la différence entre l’opposition du privé et du public et l’opposition du privé et du commun. Dans les usages, pour toutes les raisons indiquées, la notion de public n’a ni la même compréhension, ni la même extension que la notion de commun.

2) Même si, naturellement, on peut juger qu’on ne fait ainsi ni le tour des usages de la notion de communauté, ni même celui de ses usages les plus pertinents et les plus importants, une communauté peut prendre la forme d’un régime efficient de propriété commune.

3) On peut donner ici l’impression d’énoncer un truisme. Cependant, cela implique qu’une communauté résulte d’un choix rationnel.  « Rationnel » ici se prend en deux sens. Au sens économique étroit, les individus cherchent une solution satisfaisante dans l’état actuel de leur connaissance et utilisent des moyens rares pour poursuivre leurs fins. Mais, en un sens plus large, la communauté engage aussi une rationalité sur les fins, même si ces fins ne sont pas les buts ultimes ou finaux de l’action. Il paraît en effet rationnel de préserver les ressources et non pas seulement de chercher la meilleure combinaison de moyens pour les exploiter.

4) Le mot « communauté » se prend lui-même en deux sens. D’un côté, dans une communauté, un même droit est reconnu à tous les membres d’un groupe, primaire ou secondaire, restreint ou large. De l’autre, les normes de gestion sont elles-mêmes choisies en commun et collectivement assumées. Cela implique de dire que, malgré les apparences, la propriété commune ne peut pas être réduite au droit que chacun aurait sur une quote-part.

J’espère avoir donné un aperçu de l’ensemble du problème et, surtout, avoir montré que le réduire à une question étroitement économique et simplement empirique constituait  plutôt une manière commode d’ignorer le problème.

 

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